Elle était l'Inconnue inattendue, comme la dernière brise chaude d'une journée de printemps, qui soulève doucement les rideaux de la fenêtre, et qui caresse les pétales du cerisier en fleurs, celle que l'on n'espère plus, celle que l'on savoure les yeux fermés. Elle était comme le dernier rayon orangé, qui flotte sur l'horizon, la dernière parcelle de lumière, qui résiste au caprice du Temps. La Rêvée devenue réelle.
Je m'étais toujours senti en décalage par rapport aux autres, toujours à commettre la maladresse, à faire le pas de travers, et à le conserver en mémoire, comme un échec. C'est étrange comme chaque chose semble être à sa place, se complaisant dans l'utilité. Même les oiseaux volants en essaim s'accordent parfaitement. Moi je n'avais jamais su faire ça, être accordé.
À part avec elle.
Être amoureux c'est comme faire un tour de montagnes russes.
On monte. On monte. Lentement le wagon est tiré vers le haut. On trépigne, on voudrait aller plus haut, plus vite, on n'a plus peur de rien, on est invincible. On sent cette force et notre ventre qui se tord de hâte et de plaisir. Puis la relation atteint le sommet, l'extase extraordinaire, le paroxysme du désir, l'orgasme.
Être amoureux c'est faire l'amour à la vie.
Puis le wagon bascule. Brutalement. Notre corps impuissant se tend, attiré inexorablement par le vide. La peur nous saisit et l'on crie. C'est incontrôlable. On hurle notre terreur.
Et le wagon s'arrête.
Et l'on ne pense plus qu'à une seule chose :
Remonter dedans.
L'amour est un tour de manège.
Mais quand j'écris sur moi, j'écris sur les autres. L'on croit toujours que l'on est unique, que personne ne peut nous connaître véritablement, que personne ne peut nous comprendre, nous, ou notre histoire. L'on croit que l'on est extraordinaire, au sens propre du terme. Mais le fait est que nous sommes tous ordinaires, et c'est très bien.
Le bonheur n'est pas propice à l'écriture, le bonheur étouffe les mots, ou pire, il les rend ennuyeux. Le bonheur est fait pour être vécu, et le malheur pour être écrit.
Les mots grouillent en moi. Ils se tiennent là, au fond de ma gorge, comme un monstre qui gratte, une bête enfermée, qui grogne, juste là, en moi, au bout de mes doigts, qui tremblent. Je veux tout dire.
J'ai cherché. Pendant longtemps. J'ai cherché quelqu'un d'autre. Comme elle. Avec les mêmes traits, le même rire, le même regard, la même folie. Mais plus jamais, il n'existera ce même iris, cette même tache de naissance, ce même grain de beauté. Plus jamais. Elle était là, avant, elle m'appartenait, elle était à moi, et j'étais à elle. Et soudain elle a disparu. Plus jamais je ne la verrai. Plus jamais. Jamais. Ce mot n'est pas compréhensible pour l'homme qui n'a pas connu l'illusion du Toujours.