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Citation de enkidu_


Chez les habitants de Delhi, si répandu était la croyance selon laquelle les Anglais seraient le produit d’une union contre nature entre des singes et des femmes du Sri Lanka (voire entre « des singes et des porcs ») que le plus célèbre théologien de la ville, Shah Abdul Aziz, fut obligé d’édicter une fatwa où il rappelait qu’une telle opinion ne reposait sur aucun texte du Coran ni des hadith, et que, malgré leur comportement bizarre, les firangis n’en étaient pas moins des chrétiens, et donc des gens du Livre. Dès lors qu’ils ne vous servaient pas de porc ni de vin, il était tout à fait permis de les fréquenter (si, pour des raisons mystérieuses, on en avait le désir), et même de partager leur repas(1).

En partie à cause du manque de contacts réguliers avec les Européens, Delhi restait une ville pleine d’assurance, fière de sa splendeur et de son tahzib, cette urbanité faite d’un mélange de culture et de bonnes manières. Elle n’avait pas encore connu la crise de confiance qui survient inévitablement après l’instauration d’un colonialisme autoritaire et débridé. Au contraire, elle était encore à plus d’un titre une bulle de traditionalisme moghol dans une Inde où les changements s’accéléraient déjà. Lorsqu’un habitant de Shahjahanabad souhaitait chanter les louanges d’un autre, il puisait toujours dans la rhétorique de l’islam médiéval, émaillé de tropes séculaires : les femmes de Delhi étaient aussi élancées que des cyprès, les hommes aussi généraux que Faridun, aussi cultivés que Platon, aussi sages que Salomon, et leurs médecins aussi talentueux que Galien. L’un des plus prompts à vanter les mérites de sa ville natale et de ses habitants était le jeune Sayyid Ahmad Khan :

« L’eau de Delhi est suave au goût, l’air excellent, et il n’y a pratiquement aucune maladie. Grâce à Dieu les habitants sont aussi aimables qu’avenants, et remarquablement séduisants dans leur jeunesse. Nul habitant d’une autre cité ne peut rivaliser avec eux. […] Les hommes de la ville, en particulier, s’intéressent à la science et cultivent les arts, passant leurs jours et leurs nuits à lire et à écrire. Si l’on détaillait chacun de leurs traits de caractère, on obtiendrait un traité des bonnes manières. »

(1) Shah Abdul Aziz considérait également que la charia autorisait les musulmans à travailler pour des chrétiens. En revanche, il doutait de l’intelligence des Britanniques et méprisait leur incapacité à saisir les subtilités de la théologie musulmane. Chaque race a ses propres aptitudes, écrivait-il : « Les hindous ont un don pour les mathématiques, les Francs pour l’industrie et la technologie. Mais, à quelques exceptions près, leur esprit ne peut comprendre les nuances les plus subtiles de la logique, de la théologie et de la philosophie. » Cité par Khalid Masud dans : The World of Shah Abdul Aziz, 1746-1824, p. 304, et repris par Jamal Malik dans : Perspectives of Mutual Encounters in South Asian History, 1760-1860 (Leiden, 2000). (pp. 64-65)
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