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Citation de SZRAMOWO


Je n’ai pas eu le courage de rentrer directement chez moi le soir du jour où nous avons trouvé le corps sur la Petite Ceinture. J’ai fait une halte chez Baptiste, où j’ai enquillé un nombre important de verres de bourgogne aligoté. Baptiste restait debout derrière son comptoir, le torchon à carreaux sur l’épaule, le visage cerclé par les arabesques de sa gauloise, le regard dans le vide – qui savait ce que cet œil regardait ?J’ai bu et fumé mes gitanes en écoutant les conversations autour de moi. Pas mal de gens du quartier. Quelques étudiants aussi, égarés autour de la place de Clichy. Je les ai écoutés parler sans rien comprendre à ce qu’ils racontaient. De temps en temps, un mot ou un nom propre – « surdétermination », « Godard » – sortaient de leurs conversations, créaient une petite polémique. Les autres, les gens de peu, les regardaient, étonnés, tandis que je fixais sur la table en hêtre les traces circulaires des verres sur le bois laqué. Après avoir bu tellement de blanc que je ne savais plus si je rêvais, je suis rentré chez moi en titubant. Je suis passé devant le square des Batignolles. Une fosse où furent ensevelis les cadavres des fédérés. La montée des six étages a été difficile et je me suis assoupi une petite heure sur un palier quelconque. J’ai fini par ouvrir la porte d’entrée, Duke m’a sauté dessus et je l’ai nourri. Je me suis installé sur le lit et j’ai regardé la photographie de Jeanne sur la table de nuit. J’ai pensé à Charlotte Saint-Aunix. Puis à d’autres photographies, celles que le labo nous avait envoyées en fin d’après-midi. La poupée démantibulée. Le fantôme sanglant inscrit sur la pellicule. Retrouvé à moins de un kilomètre de chez moi, à vol d’oiseau.Fantômes de fantômes.Je les ai suivis comme on suit une corde raide. Tombée comme un souvenir, où grimper entre deux moments de temps disjoints ensemble.Je me suis levé pour aller vomir dans les toilettes. J’ai passé de l’eau froide sur mon visage qui se reflétait dans le miroir tacheté accroché au mur. J’ai ouvert la mansarde et le froid de la nuit s’est posé sur ma nuque. J’ai mis sur la platine un disque de Chet Baker, un enregistrement public d’un concert donné à Florence le 24 janvier 1956 avec Jean-Louis Chautemps au saxophone ténor et, d’un seul coup, c’est allé mieux. Très précisément avec You don’t know what love is que je me suis mis à chantonner entre deux bouffées de gitane. « You don’t know what love is. ’Til you’ve learned the meaning of the blues. Until you’ve loved a love you’ve had to lose. You don’t know what love is. »
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