PEUPLE INHABITÉ
…
J'habite un peuple qui ne s'habite plus.
Et les champs entiers de la joie se flétrissent sous tant de
sécheresse et tant de gerbes reniées.
J'habite un cri qui n'en peut plus de heurter, de cogner,
d'abattre ces parois de crachats et de masques.
J'habite le spectre d'un peuple renié comme fille sans
faste.
Et mes pas font un cercle en ce désert. Une pluie de visages
blancs me cerne de fureur.
Le pays que j'habite est un marbre sous la glace.
Et ce pays sans hommes de lumière glisse dans mes veines
comme femme que j'aime.
Or je sévis contre l'absence avec, entre les dents, une pauvreté
de mots qui brillent et se perdent.
PEUPLE INHABITÉ
J'habite un espace où le froid triomphe de l'herbe, où la
grisaille règne en lourdeur sur des fantômes d'arbres.
J'habite en silence un peuple qui sommeille, frileux sous le
givre de ses mots. J'habite un peuple dont se tarit la parole frêle
et brusque.
J'habite un cri tout alentour de moi −
pierre sans verbe −
falaise abrupte −
lame nue dans ma poitrine l'hiver.
Une neige de fatigue étrangle avec douceur le pays que
j'habite.
Et je persiste en des fumées.
Et je m'acharne à parler.
Et la blessure n'a point d'écho.
Le pain d'un peuple est sa parole.
Mais point de clarté dans le blé qui pourrit…
Les mots se disloquent
dans l'immensité du désordre.
Demain après-demain,
il n'y aura plus de mots
pour trembler
comme aujourd'hui
tremble l'homme,
stupéfait de ce qu'il est.