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Citation de AuroraeLibri


De même, Leopardi aurait voulu aimer comme Dante aime Béatrice, comme Pétrarque aime Laure ; mais à quelle source aurait-il puisé l'extase qui inspire la Vie nouvelle, le Paradis et les poèmes écrits « après la mort de Madame Laure ? » Pour régler son cœur sur celui de ses illustres modèles, il lui manquait l'élément essentiel de leur inspiration : la foi. Dante écrivait après la mort de Béatrice : « Elle s'en est allée dans le haut ciel, dans le royaume où les anges ont la paix... Bien des fois, quand je pense à la mort, il m'en vient un désir si doux que mon visage change de couleur... Puis, pleurant seul, j'appelle Béatrice et je lui dis : Tu es donc morte ? Et en l'appelant, je me console. » Il peut donc l'évoquer quand il veut, elle est toujours auprès de lui, c'est elle qui le guidera à travers sa sublime vision du paradis. Pareillement, la mort n'a séparée Pétrarque de Laure que comme un accident passager; quand il « la cherche et ne la trouve pas sur la terre », elle lui apparaît « plus belle et moins altière » ; il lui prend doucement la main et lui dit : « Si mon désir ne me trompe, tu me rejoindras dans cette sphère » ; en sorte « qu'au son de paroles si pieuses et si chastes, il s'en fallut de peu, dit-il, que je restasse au ciel ».

— A Leopardi, quand elle lui apparaît en songe, sa dame dit sur un tout autre ton : « Oublies-tu donc que je suis dépouillée de ma beauté et que c'est en vain, malheureux, que tu brûles et frémis d'amour? Adieu maintenant pour jamais [ou finalmente addio). Nos esprits malheureux et nos corps sont séparés pour l'éternité. Pour moi, tu ne vis pas et ne vivras jamais plus : le destin a rompu la foi que tu m'as jurée... » Béatrice et Laure, vivantes ou mortes, n'ont jamais un instant quitté leurs poètes ; sans cesse ils les voient à côté d'eux. Pétrarque est si absorbé par la pensée de sa dame, que lorsqu'il se promène, il oublie son chemin et tombe dans une fondrière ; Dante associe Béatrice à tous ses rêves, et se plaît à démontrer lui -même que son amour pour elle est inséparable de son amour pour sa patrie et de son amour pour Dieu, Qu'est-ce, en comparaison, que la petite place qu'occupent, dans l'œuvre de Leopardi, Nérine et Silvia ? Tandis que Dante et Pétrarque espèrent en leur bien aimée pour leur ouvrir les portes de la vie éternelle, il fuit sans cesse la sienne, lui, pour courir à la recherche de la vérité qui dessèche son cœur. Depuis que Jupiter a envoyé la vérité sur la terre, l'amour, la seule des divines chimères qui puissent encore venir nous visiter, n'use que fort peu de cette permission.

Giacomo Leopardi
Chapitre Il. La vie intérieure
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