Quant à moi, je sais que les naturels supérieurs sont le moins exempts de défauts ; car la surveillance minutieuse en tout fait courir le risque de la petitesse ; et dans la grandeur, comme dans l’excessive richesse, il faut que subsiste aussi un peu de négligence. Tandis que les naturels bas et médiocres, je ne sais s’il ne relève pas de la nécessité que, par le fait de ne jamais prendre de risques et de ne jamais aspirer aux sommets, ils restent la plupart du temps impeccables et plus sûrs ; les grands, au contraire, bronchent à cause de la grandeur même.
XXXIII — 2
Ne pensons-nous pas que la composition, qui est une harmonie des mots innés chez les humains et qui touchent l’âme elle-même et non pas seulement l’ouïe ; harmonie qui met en branle des formes variées de noms, de pensées, d’actions, de beauté, de mélodie, – toutes choses qui croissent et naissent avec nous – , qui, par le mélange et la multiplicité des formes de ses propres sons introduit dans les âmes des proches la passion qui est présente chez celui qui parle ; qui la fait toujours partager à l’auditoire ; qui ajuste la grandeur à la gradation des expressions ; ne pensons-nous pas, dis-je, que par ces moyens mêmes la composition séduit et, en même temps, nous dispose sans cesse à la grandeur, à la dignité, au sublime, et à tout ce qu’elle contient elle-même, elle qui règne absolument sur notre pensée ?
XXXIX-3
Car, par nature en quelque sorte, sous l’effet du véritable sublime, notre âme s’élève, et, atteignant de fiers sommets, s’emplit de joie et d’exaltation, comme si elle avait enfanté elle-même ce qu’elle a entendu.
VII-2
Et vraiment quant au fait que la périphrase contribue à faire le sublime, il n’est personne, je pense, pour en douter. Car de même que dans la musique, à cause de ce qu’on appelle l’accompagnement, le son principal est rendu plus plaisant, ainsi la périphrase souvent sonne avec le sens propre du mot et résonne à l’unisson pour contribuer grandement à la beauté ; et surtout si elle ne comporte ni enflure ni discordance, et si, au contraire, elle présente un mélange plaisant.
XXVIII — 1
Eh bien, examinons donc si nous n’avons pas quelque autre moyen de rendre les discours sublimes. Puisque, par nature, à toutes choses se rattachent les parties qui coexistent avec la matière qui les constitue, ne s’imposerait-il pas à nous de trouver la cause du sublime dans le fait de choisir toujours les éléments constitutifs essentiels et d’être capable, en les articulant les uns avec les autres, d’en faire comme un seul corps ? Car l’un entraîne l’auditeur par le choix des motifs, l’autre par la concentration des motifs choisis. Par exemple Sappho : les affections consécutives à la folie de l’amour, à chaque fois elle les saisit comme elles se présentent successivement, et dans leur vérité même. Mais où montre-t-elle sa force ? C’est quand elle est capable à la fois de choisir et de lier ensemble ce qu’il y a de plus aigu et de plus tendu dans ces affections.
X-1
Car, comme je ne cesse de le dire, la résolution et la panacée de toute audace d’expression résident dans les actions proches de l’extase et de la passion. De là vient aussi que les audaces comiques, même si elles tombent dans l’invraisemblance, on y croit grâce au rire […] car le rire est une passion dans le plaisant.
XXXVIII — 5
il est certain que l'Enflure n'est pas moins vicieuse dans le discours que dans les corps...Au reste le éfaut du style enflé, c'est de vouloir aller au delà du Grand. Il en est tout au contraire du Puéril.
..;Quest-ce donc que puérilité ? .. C'est le vice où tombent ceux qui veulent toujours dire quelque chose d'extraordinaire et de brillant ; mais surtout ceux qui cherchent avec tant de soin le plaisant et l'agréable : parce qu'à la fin, pour s'attacher trop au style figuré, ils tombent dans une sotte affectation
Quand donc une chose souvent entendue par un homme de bon sens et expert en discours, ne dispose pas son âme à la grandeur de pensée, et que ce qui est examiné de nouveau, à fond, ne laisse pas à la réflexion plus que ce qui est dit effectivement, mais au contraire, pour qui l’observe avec soin et de manière continue, tombe dans le dépérissement, il ne saurait y avoir là de vrai sublime, pour autant qu’il ne subsiste que le temps seul de l’audition. Car cela est grand, en vérité, qui supporte un réexamen fréquent, mais contre quoi il est difficile et même impossible de résister, et qui laisse un souvenir fort et difficile à effacer.
VII-3