Quand à Henry (Hopkins), il achète un tableau que j'ai peint à l'école, Sweetwater (1959), une oeuvre dont la moitié supérieure est vouée, de façon très ambitieuse, à l'expressionnisme abstrait, tandis que la moitié inférieure porte, en caractères traditionnels, l'inscription "Sweetwater".
Paul Karlstrom - C'est une oeuvre historique. Est-ce qu'elle figura dans l'exposition du San Francisco Museum of modern Art?
Ed Rusha - Non, hélas, elle est morte de sa belle mort.
Paul Karlstrom - Comment ça?
Ed Rusha - Eh bien, Henry enseignait l'histoire de l'art à UCLA (université de Californie à Los Angeles). Il avait apporté le tableau un jour et l'avait laissé dans l'un des casiers ; et l'un des professeurs - je crois que c'était Jan Stussy - l'a pris et l'a donné à l'un de ses étudiants en disant: "Vas-y, sers-toi de ça comme toile et peins par dessus". Henry ne m'en a parlé que des années plus tard.
Je ne suis pas sociologue. Je n'ai ni méthode ni motif précis en tête. Je n'ai pas à répondre à une question telle que "Est-ce que j'ai bien dit tout ce que j'avais à dire?". Je ne propose pas une analyse. C'est ce qui fait que beaucoup de mes livres laissent des questions en suspens. Je les pose, et je laisse volontairement planer l'ambiguïté.
Jana Sterbak - Où trouvez-vous les expressions que vous peignez?
Ed Ruscha - Certaines se présentent toutes faites, d'autres me viennent de mes rêves ou encore des journaux. La foi aveugle que j'ai en eux me permet d'aller jusqu'au bout.
J'ai ce genre d'images visuelles, et comme je suis un bon petit soldat de l'art, je fonce et je m'y mets. J'étale les questions. Je ne reste pas assis à me demander "Mais pourquoi je fais ça?". Il n'y a pas de réponse à cela.