Puisque la représentation linguistique n'est jamais totale, il serait surprenant qu'elle soit rigoureusement la même dans deux langues différentes. Chaque langue a donc ses trous, qui ne sont pas forcément les mêmes que ceux de la langue dans laquelle on traduit. Tout traducteur doit s'attendre à ce qu'il y ait dans la langue de départ des mots qui cherchent en vain leur équivalent dans la lnahje d'arrivée. Ou bien la chose n'existe pas — ou n'est pas reconnue dans l'une des deux civilisations, ou bien elle existe dans les deux, mais une langue éprouve le besoin de nommer ce que l'autre passe sous silence. On peut d'ailleurs se demander si l'omission n'est pas ici un indice du peu d'importance que présente pour le groupe linguistique en question cette chose qui n'a pas de nom.
Soit, par exemple, la phrase :
Il a regardé dans le jardin par la porte ouverte.
Le français va tout de suite au résultat, dans ce cas, la chose regardée. Ensuite il indique la façon dont l'actiln s'est accomplie, dans ce cas, l'itinéraire du regard. C'est là une démarche à peu près constante de l'esprit français : d'abord le résultat, ensuite le moyen. Par contre, l'anglais suit l'ordre des images ; or il est évident que le regard a traversé la porte avant d'aboutir au jardin. D'où la traduction :
He gazed out the open door into the garden.
La modulation exprime, d'une façon générale, l'opposition entre deux raisonnements et qu'elle est, de ce point de vue, un indice de divergence entre deux langues, traduisant ainsi une divergence de deux attitudes mentales vis-à-vis d'une même situation. Nous pensons en particulier aux modulations qui permettent au français de rester sur un plan conceptuel, par opposition au plan sensoriel où évolue l'anglais : "I read in the paper : j'ai appris dans les journaux".
Certains Indiens n'ont pas de terme correspondant à "frère" ou "sœur", ou ne boivent pas de vin, ou n'élèvent pas de veaux, et par conséquent ne peuvent comprendre, pour des raisons culturelles, certaines images essentielles de la Bible. Pour les leur faire comprendre, [Nadi] propose des "adaptations" : il garde le sens, mais prend ses éléments significatifs dans d'autres domaines.
L'anglais excelle à la concision quand il reste sur le plan du réel, son domaine favori, en particulier dans les notations de choses vues ou entendues.
[…] Le français est plus rapide sur le plan de l'entendement. il juge plutôt qu'il ne décrit, et l'omission de détails qu'il estime oiseux permet une transmission allégée de la pensée
Certains mots, sans changer de sens, changent d'orientation suivant les pays et suivant les époques. Ex. : "continent" : aux États-Unis, tantôt "l'Amérique", tantôt "l'Europe".
"réactionnaire" : homme d'extrême droite en France, d'extrême gauche au Canada
"tricolore", pour un Français, est limité aux couleurs du drapeau national.
Même si par la force des circonstances la majorité des traductions rapprochent des langues participants à une même aire générale de culture (par exemple la culture dite occidentale), il reste que chaque groupe culturel est suffisamment individualisé pour que les langues reflètent ces divergences dans leur stylistique. On remarquera en effet que toute la stylistique comparée est basée sur la différence d'interprétation d'une même situation par deux groupes linguistiques. On peut même poser en principe que, dans la mesure où une phrase se laisse traduire littéralement, elle reflète une communauté culturelle et, sur un plan plus élevé, une communauté conceptuelle et philosophique.
Dans un texte sur le comportement des guêpes (The Linguist, février 1955, p.44), l'auteur se laisse aller à une personnification qui paraît gênante en français à cause du genre grammatical de cet insecte : "I am no naturalist and I allude to thus worker-wasp as a male because he was a business-like and practical fellow". Cette personnification va donc à l'encontre du genre de "guêpe-ouvrière", mais on pourra conserver le mouvement du morceau, en plaidant par là même la cause du féminisme : ..."à voir la façon pratique et affairée avec laquelle cette guêpe attaquait son morceau de sucre, j'ai supposé qu'il s'agissait d'une femelle, etc..."
Il semble bien qu'en général l'anglais soit plus bref que le français. [...] Mais il faut tenir compte que la traduction a tendance à être plus longue que l'original. Le traducteur allonge par prudence et aussi par ignorance.
L'anglais excelle à marquer le "devenir" ; le français [...] découpe dans le continu du temps des tranches nettement marquées et à l'intérieur desquelles le temps semble s'immobiliser pour passer ensuite à la phase suivante.