Maurice Rostand. Le masque de feer.
La nuit sur le tombeau
…et le chemin pâle n’avance
que dans le sens du Souvenir. (Les Insomnies)
Une plaque dans l'herbe au Jardin des Poètes (Paris, 75016)
La scène se passe aux environs de Marseille.
Un salon extraordinairement bourgeois dans une maison dont la grande baie donne, au fond, sur un jardin méridional. Provence et province.
Respectabilité excessive.
Au mur, des portraits de famille où tous les hommes sont extrêmement décorés.
Pas de poussière au sens strict du mot, mais de la poussière morale un peu partout.
Les meubles, pudiques, sous des housses....
Mme Fortunat, appelant, le verbe très haut.- Péronille !
Péronille, du fond de la cuisine.- Je viens, madame...
Madame Fortunat.- Péronille ! Ah ! Nous ne ferons rien jamais de cette fille. Péronille !
Péronille.- Je viens...
Madame Fortunat.- Mais à la fin, venez ! Je ne vois même pas le bout de votre nez.
Vous me dites : "je viens" et je ne sens, que diable ! qu'une odeur de friture assez désagréable.
Péronille, surgissant.- Me voici...
(lever de rideau de la pièce extraite du numéro 296 de "La Petite Illustration" paru le 26 mars 1932)
Des pièces et des poèmes annoncés ou affichés par les divers théâtres de Paris à l'occasion du tricentenaire de Molière, il en est trois qui, par leur importance et leur valeur, se détachent des habituels à-propos, des ordinaires ouvrages de circonstance ...
Le Martin-Pêcheur
Du temps que, sur les eaux, toutes choses vivantes
Vivaient dans l’Arche de Noé :
Les femmes, les bergers, les animaux, les plantes,
On eut besoin d’un messager ;
D’un messager discret, aventureux et sage,
Qui puisse voler et monter
Plus haut que l’horizon, la brise et le nuage,
Jusqu’au Seigneur d’éternité.
L’Aigle se proposa : « Non ! ton aile est méchante, »
S’écria Noé… « Je suis sûr
Qu’elle épouvanterait les étoiles tremblantes
Qui gardent la porte d’azur. »
Le Hibou s’avança : « Ce n’est pas ton affaire,
Pauvre bête au pénible vol,
Car le soleil t’aveuglerait de sa lumière…
– Alors, moi ? » dit le Rossignol ;
« Toi ?» dit Noé, « hélas ! le moindre clair de lune
Réveillerait ton chant divin.
Et, grisé de musique au bord de la nuit brune,
Tu perdrais toujours ton chemin.
Non, ce qu’il me faudrait, ce n’est pas ton délire,
Ni les ailes de l’alcyon ;
Ce n’est qu’un messager modeste, et qui n’attire
Aucunement l’attention. »
À ces mots, un petit oiseau couleur de terre
Vint devant lui se présenter :
« Je n’ai », dit-il, « ni rang, ni ruse, ni mystère,
Mais j’ai ma bonne volonté ;
Donnez-moi le message, et, dans quelques secondes,
J’aurai pu passer sans péril ;
Je suis l’oiseau le plus ordinaire du monde :
Choisissez-moi ! – Ainsi soit-il ! »
Fit Noé, lui donnant le message céleste :
« Pars, mon petit Martin-Pêcheur ;
Nous t’attendons ici, dans ce bateau qui reste
Éternellement voyageur. »
Et le Martin-Pêcheur, sortant par la fenêtre,
S’élança dans le jour nacré,
Parmi cet air lavé de pluie et que, peut-être,
Personne n’avait respiré.
Il monta ! Il monta ! chargé de son message
Qu’il se répétait tout le temps ;
Il traversa l’éclair, la brise, le nuage,
Volant toujours, toujours montant ;
Mais, lorsqu’il eut touché la voûte sans mélange
Du vrai ciel où demeure Dieu,
Il ne put, n’ayant pas les poumons d’un archange,
Respirer un air aussi bleu ;
Et, son cœur étouffé comme au milieu des ronces,
Il retomba fou de clarté,
N’ayant pas eu le temps d’attendre la réponse
Qu’il espérait tant rapporter !
Il revit l’arche… Il frappe à la fenêtre… On ouvre…
« Toi ? » dit Noé… « Que tu es beau !
Quel est ce manteau bleu, si bleu, qui te recouvre ?
– Mais non, je n’ai pas de manteau.
Un manteau merveilleux ! éblouissant de charme !
- Comment ? » fit le Martin-Pêcheur.
« Ah ! » dit Noé, tombant à genoux, tout en larmes…
« C’est la réponse du Seigneur ;
Car je lui demandais ardemment que nous eûmes
La preuve d’un sort éternel,
Et voici qu’il daigna m’envoyer, sur tes plumes,
Un vrai petit morceau de ciel. »
Le Déluge cessa. Tout refleurit sur terre :
Les saisons, les nuits et les jours ;
Et tous les cœurs humains de nouveau s’approchèrent
Du feu, de l’orgueil, de l’amour…
Mais le Martin-Pêcheur, le messager céleste,
Garda l’éternel manteau bleu
Afin que nous sachions que, seul, un cœur modeste
Peut parfois s’approcher de Dieu.
POÈMES
LES AILES
L’heure a la majesté profonde
Des grands soirs illustres du monde.
Le vent souffle et a mer brunit.
Là-bas, plus loin qu’où vont les seigles,
Sur sa montagne de granit,
Un petit aigle sort du nid.
Je suis comme ce petit aigle.
Je secoue avec volupté
Mon jeune front parmi l’été,
Et, tandis que l’heure innocente
Berce les mondes exaltés,
Je bats de mes ailes absentes.
p.13
- Tiens passe lui les castagnettes, je te prie,
Oui, ce sera charmant. C'est vrai, il y avait
de la tristesse un peu dans l'air qui s'énervait.
Nous la ferons fuir d'un refrain.
- Ma mantille
- C'est trop fort !
- Elles sont fraîches,les jeunes filles !
- Vous allez voir... Alors, vous ne connaissez pas le fandango ?
- Jamais
- On le danse là-bas, en Espagne.
- La nuit, les souliers dans le sable,
mais c'e'st plus espagnol encore sur une table,
Comme à Séville, un soir de fête...
- Elle ne va pas danser maintenant, sur une table, là
Vous le lui défendrez, Aglaé, je soupçonne ?
Une grande pièce qui sert de cabinet de travail et à qui la présence invisible d'une femme retire de son austérité.
Elle ouvre par une baie sur un jardin dont on aperçoit les premiers feuillages, une statue brisée, quelques roses ...
A droite, une table avec un entassement de livres, de vieux papiers.
A gauche, une vitrine avec des objets de jade, des cristaux.
Un peu partout des fleurs.
C'est par la fin d'une belle après-midi de printemps.
Au lever du rideau, Daniel cause avec un homme chafouin d'une quarantaine d'années qui est assis devant lui avec une certaine arrogance un peu gauche.
C'est Martin-Lefèvre avec entre les mains, le crayon, le carnet, bref, tous les instruments de torture de l'interview ....
Aux îles Sainte-Marguerite, la prison du "masque de fer".
C'est plutôt qu'une véritable prison, une salle de château fort, obscure et sinistre, mais à laquelle on a donné une certaine somptuosité.
A gauche, le grand lit vide a un dais surchargé d'étranges armoiries.
Au fond, un chemin de ronde où tout à l'heure, de long en large, marcheront les veilleurs.
Sur une table, au milieu, un flambeau et des livres. Une glace sur le mur.
Par les barreaux de la fenêtre de gauche et de celle du fond, on aperçoit des cyprès, le lointain, un fragment bleu de mer...
Tout le paysage visible a un violent caractère provençal, moitié italien, moitié grec.
Et la jeunesse lumineuse de ce cadre, la vie qui glisse à travers ces barreaux rend la prison plus sombre et plus morte.
Au lever du rideau, une vieille femme, aidée de deux servantes, est en train de faire le lit.
Une porte s'ouvre.
Psyché paraît. Elle a seize ans.
Elle court vers la vieille femme qui est sa nourrice.
Les deux servantes se retireront presque aussitôt.....