Si la vie s'emploie à refermer les blessures, apaiser les colères, guérir les souffrances de la jalousie et de la séparation, si l'on tend à oublier une histoire commune qui s'enfonce dans le passé, on n'est pas à l'abri toutefois de retours à la mémoire, qui nous saisissent, et nous ramènent, parfois, aux jours anciens de la félicité.
La violence est l'expression de la crainte, comme la cruauté, et il n'est pas de plus grande crainte que celle de la mort.
Cette nuit-là, avant de monter sur le lit, nous avons entendu Khiti, le chanteur du palais, exécuter cette chanson que j'ai toujours aimé écouter, surtout lorsque je me trouvais avec Horemheb :
Flûte de l'amour, exalte la venue de la nuit.
Le corps, après tant d'occupations, aspire au repos.
Venez vite, songes pleins de choses impossibles.
L'oiseau de l'aube va bientôt s'éveiller.
Sois indulgente, ô nuit, pour le vagabondage de l'âme aux mondes mystérieux,
Et que l'amant jouisse de l'étreinte de l'être aimé.
Demain, c'est à nouveau le partage entre le désir et la nécessité.
Que l'amant se réjouisse donc en présence de l'être aimé.
A la nuit tout s'apaise,
A le nuit tout se rapproche,
A la nuit le plaisir se partage également à tous.
Mona s'allongea sur la natte, tandis que Samih et Adel prenaient place devant un échiquier.
Comment ai-je pu aimer ainsi un homme de guerre - sinon par sottise, par ignorance... Ne te moquais-tu pas toi-même des sentiments, que tu méprisais ? Ne t'ai-je pas entendu dire à voix basse, pendant nos étreintes, que l'émotion n'est qu'un frein pour la pensée, que la pensée est un frein de l'action ? Pour toi, seuls les actes sont honorables, l'acte de chasser, l'acte de vaincre dans la bataille, et enfin l'acte de s'emparer du pouvoir royal...
Nous sommes les seuls êtres vivants à avoir acquis, par la civilisation, des choses inutiles, et plus qu'aucun autre, nous sommes dévorés par la crainte de la mort. Que de fois je l'ai entendu dire que toutes nos plus belles inventions - les dieux, les temples, les rituels funéraires - se réduisaient à rien, et que, passé notre brève existence sur cette terre, nous ne pouvions rien faire d'autre qu'accepter notre disparition.
Mais pour lors, Senou, je suis lassée de parler de ces sentiments qui étaient les miens pour lui. Je voudrais maintenant te parler de quelque chose d'autre, qui a beaucoup fait pour mon bonheur, d'un autre amour, qui m'a occupée : la poésie. Oui, Senou, tu sais combien j'ai aimé disposer les mots selon un rythme quasi musical. La poésie conduit les sentiments jusqu'à leur vérité essentielle.
Si nombreux soient les hommes dans la vie d'une femme, seule elle vivra dans l'enclos de ses secrets. C'est pourquoi il vaut mieux ne pas se préoccuper des hommes, ne pas leur confier notre vie - au risque de mourir s'ils nous abandonnent. Vis pleinement ton instant, libère-toi de ta dépendance à son égard. Sois sûre d'une chose : si ta vie prend fin, il ne s'en attristera pas outre mesure.
Nous les femmes, lors même que nous sommes captives, soumises à la force de votre glaive, ou votre verge, nous ne gardons une place dans notre mémoire qu'à ceux qui ont su ouvrir devant nous les portes de la connaissance, et nous faire découvrir ce qui se trouve derrière ces portes.
A osciller entre le souvenir du plaisir pris avec toi et celui de ma colère contre toi, je retrouve une certitude, qui date de ce jour, celle de notre incapacité, à nous tous, d'approcher la vérité suprême des choses.