Extrait
Le printemps s’achevait, ç’avait été un printemps
étouffant, uniforme, privé de ses lumières habituelles et
de ses couleurs, avec très peu de pluies, et la pluie avait
été rare aussi pendant l’hiver, quand survint la sécheres-
se. Le soleil, se dressant sur les malédictions des habi-
tants de la ville, s’empara de tout. Un monstre terrible
s’était établi dans le ciel et de là-haut plongeait ses ten-
tacules dans la terre. Il tuait les plantes, s’acharnait sur
les animaux et les hommes. La mort avait frappé
d’abord les faubourgs de la ville, aussitôt dépouillés de
toute végétation, et s’était abattue sur les collines telle
une vague géante, envahissant aussi l’étendue des
champs et des prés. Elle avait attaqué et desséché de
même les bois des collines et ceux plus touffus des val-
lées. Sur les collines se trouvait le domaine de grand-
père, notre domaine. Nous allâmes lui et moi le visiter.
Les plantes étaient desséchées, les fruits noirs, flétris. La
maison bleue était devenue blanchâtre, brûlée, inhospi-
talière. Le paysan pleura, et sa femme aussi. Grand-père
les consola tout en essuyant la sueur de son front et de
son menton. Moi aussi je transpirais d’émotion. Nous
revînmes tout de suite sur nos pas. En chemin, grand-
père donna libre cours à son désespoir, affirmant que
désormais il était ruiné. Il dit que s’il avait eu d’autres
capitaux, il aurait essayé d’amener l’eau du fleuve sur
les collines, mais ensuite il ajouta qu’un tel travail aussi
aurait sans doute été vain. Toutes les années de travail à
l’hôtel allaient être balayées par ce désastre. Il n’aurait
pas les moyens de reprendre les cultures quand la
sécheresse serait passée. Il maudit le genre humain qui,
par son inconscience, avait attiré la sécheresse sur la
terre et jura qu’il tuerait le premier qui émettrait une
opinion quelconque sur le cours du temps.
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