Quel bonheur de vivre
en se sentant vécu.
De se livrer
obscurément à la grande certitude
qu'un autre être, hors de moi, très loin,
est en train de me vivre.
La voz a ti debida
Présente Eternité
Peu importe que tu ne sois pas là,
peu importe que je ne te voie pas.
Avant je t’embrassais,
avant je te regardais,
dans l’attente de toi
dans la faim pressante de toi.
Aujourd’hui je n’attends rien
des mains ni des yeux :
quelle dernière preuve ?
Etre à tes côtés
c’est ce que je voulais de toi,
oui, près de moi,
oui, mais au dehors.
Il me suffisait
de sentir tes mains
dans le don de tes mains,
de sentir un présence
de tes yeux à mes yeux.
Ce qu’à présent je veux de toi
c’est autre chose, tout autre chose
qu’un baiser, qu’un regard :
c’est que tu sois plus proche
de moi, au-dedans de moi.
Temps d’île
Qui m’appelle de la voix
d’un oiseau qui crie?
Quel amour m’aime, quel amour
m’invente des caresses,
caché entre deux airs,
simulant la brise?
Le palmier, qui l’a mis
- celui qui me rafraîchit
avec des souffles d’ombres et de soleil -
là où moi je le souhaitais?
Le sable, qui l’a lissé,
si lisse, si lisse,
pour qu’en traits infiniment légers
la main m’écrive,
sur une amante que je n’ai jamais vue,
sur une amante cachée,
parmi la pudeur de l’écume,
messages d’ondines?
Pourquoi me donne-t-on tant de bleu
sans que je le demande,
le ciel qui l’invente,
la mer, qui l’imite?
Quel est le Dieu qui au huitième jour
m’a tracé cette île,
commerce de beautés,
bourse sans cupidité?
Ici, terre, ciel et mer,
vendant
écume. sable, soleil, nuage,
trafiquent allègrement;
sans fraude ils s’enrichissent,
- des gains très purs -,
pour des aurores ils donnent des astres,
ils échangent des merveilles.
Le temps des îles: on le compte
avec des chiffres magiques;
l’heure n’a plus de minutes:
soixante délices;
avril passe tel trente soleils,
et un jour est un jour.
Qui en emportant les angoisses,
a donné forme au bonheur?
Oui, au-delà des gens
je te cherche.
Non pas en ton nom si on le prononce,
non en ton image, si on la peint.
Au-delà, au-delà, plus loin.
Au-delà de toi je te cherche
Les âmes l’angoisse les ailes tiennent-elles compagnie ?
Les âmes tiennent-elles compagnie ? Est-il possible
de les sentir ?
Ou bien es-tu en compagnie de minuscules
dés, en verre,
prisons des pointes, des fugues,
roses, des doigts ?
L’angoisse tient-elle compagnie ? Et les « plus »,
les « plus », les « plus » ne tiennent -ils pas compagnie ?
Ou bien as-tu auprès de toi seulement la musique,
martyrisée, torturée,
de se heurter à tous les coins
du monde, celle que jouent
désespérément, sans baiser,
des spectres, à la radio ?
Les ailes tiennent-elles compagnie, ou bien sont-elles loin ?
Et dis-moi, es-tu accompagnée
par cet immense désir d’être avec toi
qui s’appelle l’amour ou le télégramme ?
Ou bien es-tu seule, sans autre compagnie
que de regarder très lentement, les yeux,
noyés de sanglots, d’anciennes images
de modes vieillies, et de te sentir nue,
seule, avec ta nudité promise ?
/Traduction de l'espagnol par Bernard Sesé
Amour, amour, catastrophe.
Quel effondrement du monde !
«Mañana». La palabra
iba suelta, vacante,
ingrávida, en el aire,
tan sin alma y sin cuerpo,
tan sin color ni beso,
que la dejé pasar
por mi lado, en mi hoy.
Pero de pronto tú
dijiste: «Yo, mañana...»
Y todo se pobló
de carne y de banderas.
Se me precipitaban
encima las promesas
de seiscientos colores,
con vestidos de moda,
desnudas, pero todas
cargadas de caricias.
En trenes o en gacelas
me llegaban -agudas,
sones de violines-
esperanzas delgadas
de bocas virginales.
O veloces y grandes
como buques, de lejos,
como ballenas
desde mares distantes,
inmensas esperanzas
de un amor sin final.
¡Mañana! Qué palabra
toda vibrante, tensa
de alma y carne rosada,
cuerda del arco donde
tú pusiste, agudísima,
arma de veinte años,
la flecha más segura
cuando dijiste: «Yo...»
L'art est une aventure vers l'absolu.