Parler avec un psychologue, c’était briser une première fois le silence et révéler un secret que personne ne soupçonnait. Ce secret risquait donc de s’ébruiter. Si c’était le cas, il serait alors perdu. Il faut préciser qu’un psychologue a normalement le devoir, dans les cas d’agressions sexuelles sur une personne mineure, d’alerter les autorités judiciaires. En d’autres mots, dans cette situation, le secret professionnel n’a pas à être tenu.
Mon père était lui aussi très ému et surtout content de me retrouver. Il avait beaucoup souffert de notre séparation, plus que je l’aurais imaginé. Tout ce qu’il entendait à mon sujet l’avait terriblement affecté. Malgré ces quatre années de séparation, il m’appelait toujours son «bébé», en versant une larme, et moi, je le serrais très fort contre moi. Malgré sa maladie, il était radieux, toujours de bonne humeur et drôle. Nous pouvions jaser de tout. Avec cette dénonciation que j’avais faite, quelques années auparavant, j’étais maintenant en mesure de communiquer enfin avec mon père. La honte, les remords, les regrets n’existaient plus. Nous étions maintenant en paix l’un avec l’autre.
J’ai découvert la résilience, un mot, je sais, qu’on utilise beaucoup aujourd’hui à toutes les sauces. Dans mon cas, je n’ai pas peur de dire que j’ai réussi à surpasser mon traumatisme en jetant à la poubelle tous les résidus négatifs de mon enfance qui polluaient ma vie et qui m’empêchaient de croire en quelque chose de meilleur. Je me suis forgé une nouvelle identité. On pourrait même dire que je me suis forgé une identité, point final, car celle que j’avais auparavant ne m’appartenait pas. J’ai appris à aimer, aussi bien ma fille que Lévis. Deux amours totalement différents.
Si les violences physiques ont fini par cesser, la violence psychologique, quant à elle, a perduré jusqu’à ce que ma petite voix intérieure me dise que je devais rompre avec la culture du silence. Je devais vite rassembler mes forces, mon courage et me libérer de ce poids, de cette honte en brisant le silence qu’il m’avait imposé en me plongeant, à neuf ans, dans un bain de honte. Je ne voulais plus me taire. Je voulais mêler ma voix à toutes celles qui, comme moi, avaient été agressées par des bourreaux sans scrupules, qui méprisaient sans vergogne leurs victimes.
On m’accorda une somme, dont le montant ne peut être révélé et je dus remettre à mon avocat, Me Hogues, environ le tiers en frais d’honoraires. C’était un règlement final, comme si on pouvait tirer un trait définitif sur mon drame, comme si on pouvait, avec de l’argent, effacer tout un passé d’agressions sexuelles et d’usurpations de toutes sortes, un quart de siècle de peurs, de silences, d’humiliations, de chantage émotif et d’agressions.
On peut tout dire quand on dit la vérité, quand on dénonce des injustices flagrantes, mais on n’a pas le droit de tout dire quand on ne fait que répéter des paroles de tierces personnes et sans savoir si les faits sont véridiques. La majorité des journalistes sont pourtant des gens intègres et honnêtes, mais les autres, ceux qui ne font pas partie de la majorité, ne cherchent que le potin à sensation et c’est vraiment regrettable!
Si je ne connaissais rien à l’amour et à l’amitié, je connaissais tout de la honte et du poids du mensonge qu’on porte en soi comme un trop lourd fardeau, comme lorsqu’on franchit le mur de l’interdit et qu’il n’y a plus de possibilité de revenir en arrière. Lorsqu’on a dix ou onze ans, les interdits sont souvent des jeux d’enfants anodins, innocents, sans conséquence; un baiser furtif, un toucher, un regard indiscret.
Apprendre à vivre seule est le plus beau cadeau qui soit, parce que la solitude nous permet de se rapprocher de soi-même et de se faire confiance.
Dénoncer la pédophilie, en montrant du doigt l’agresseur, n’est pas une chose facile. Je ne savais pas dans quoi je m’embarquais lorsque j’ai décidé de rompre le silence. Je ne veux pas m’attribuer une médaille de courage, mais on comprend facilement que ce n’est pas avec plaisir que l’on comparaît devant public, dans une cour de justice ou devant des médias, pour dénoncer son agresseur.
C’était l’envers de la médaille, mais aussi un véritable enfer. Ma voix, mon corps, mes désirs ne m’appartenaient plus. Je me sentais souillée à jamais. Aucune douche, aucune savonnette ne parviendraient à laver ces blessures profondes, aucune lessive ne redonnerait les couleurs originelles à ces robes qu’il m’achetait et que je devais porter pour satisfaire ses désirs morbides.