Si parmi les mortels on voit un homme heureux,
Je le fus à l'égal que je fus amoureux.
J'aimai ce que la terre avait de plus aimable,
Et pour moi mon soleil eut une amour semblable.
Nos coeurs de même feu doucement allumés,
Brûlaient innocemment sans être consommés.
Si je souffrais pour elle, elle souffrait de même,
Et réciproquement notre ardeur fut extrême.
Enfin je possédais l'abrégé plus parfait
Des ouvrages plus beaux que la nature ait fait.
Tu ne le verras plus cet ennemi si cher,
Ce malheureux objet et d'amour et de haine,
Ce vassal qui servit et desservit sa Reine.
Celui qui t'offensa, celui qui t'obéit,
Celui qui t'obligea, celui qui te trahit.
Celui que ton coeur hait, celui que ton coeur aime,
Cet ennemi mortel, et cet autre toi-même.
Déjà les légions à l'assaut toutes prestes,
Font retentir bien loin le son de leurs trompettes,
Les chevaux animés de tous les instruments,
Augmentent la frayeur par leurs hennissements.
Les Armes des soldats éblouissent la vue,
Et leurs cris élancés vont jusque dans la nue.
Les béliers apprêtés donnent de la terreur,
Et la ville frémit de tristesse et d'horreur.
Ô Ciel et tu le vois, et tu retiens ta foudre !
Élance-la sur nous, réduis Sinope en poudre,
N'en donne pas l'honneur aux escadrons Romains,
Et puisqu'il faut périr, périssons par tes mains.
Reine au courroux du Ciel en naissant destinée !
Donne fin à tes maux Princesse infortunée !
Et ne t'efforce point de prolonger le cours
Des malheurs obstinés que poursuivent tes jours.
La puissance des Rois ne peut être bornée,
Leur caprice à leur gré fait notre destinée ;
Nous sommes leur jouet, et l'inconstante main
Qui nous hausse aujourd'hui nous rabaisse demain.
Je sens le coup mortel qui me perce le coeur
Et je n'en puis haïr ni le coup ni l'auteur.
Vile condition de mon âme abattue,
Qui baise encor la main de l'ingrat qui me tue