Vincent VOITURE Maître en badinage (Chaîne Nationale, 1953)
Lémission « Les poètes et leurs musiciens », par Lila Maurice Amour, diffusée le 3 septembre 1953 sur la Chaîne Nationale.
Mise en ligne par Arthur Yasmine, poète vivant, dans lunique objet de perpétuer la Poésie française.
Ne trouvant point d'autres plaisirs, j'ai été contraint de choisir celui de la lecture.
La Belle Matineuse
Des portes du matin l’Amante de Céphale,
Ses roses épandait dans le milieu des airs,
Et jetait sur les cieux nouvellement ouverts
Ces traits d’or et d’azur qu’en naissant elle étale,
Quand la Nymphe divine, à mon repos fatale,
Apparut, et brilla de tant d’attraits divers,
Qu’il semblait qu’elle seule éclairait l’Univers
Et remplissait de feux la rive Orientale.
Le Soleil se hâtant pour la gloire des Cieux
Vint opposer sa flamme à l’éclat de ses yeux,
Et prit tous les rayons dont l’Olympe se dore.
L’Onde, la terre et l’air s’allumaient alentour
Mais auprès de Philis on le prit pour l’Aurore,
Et l’on crut que Philis était l’astre du jour.
Sonnet
Sous un habit de fleurs, la nymphe que j'adore
L'autre soir apparut si brillante en ces lieux,
Qu'à l'éclat de son teint et celui de ses yeux,
Tout le monde la prit pour la naissante aurore.
La terre en la voyant fit mille fleurs éclore,
L'air fut partout rempli de chants mélodieux,
Et les feux de la nuit pâlirent dans les deux,
Et crurent que le jour recommençait encore.
Le soleil qui tombait dans le sein de Thétis,
Rallumant tout à coup ses rayons amortis,
Fit tourner ses chevaux pour aller après elle,
Et l'empire des flots ne l'eût su retenir ;
Mais la regardant mieux, et la voyant si belle,
Il se cacha sous l'onde et n'osa revenir.
ÉPITRES
LXXII
Les neuf filles de Jupiter,
Qui savent tant d'autres merveilles,
Avec leurs voix non pareilles,
N'ont pas l'art de ressusciter.
La mort ne les peut écouter,
Car la cruelle est sans oreilles.
Dès les vieux temps qu'Orphée harpa
Si doucement, qu'il l'attrapa
…
p.392-393
STANCES
Je pensais que la destinée
Après tant d’injustes rigueurs,
Vous a justement couronnée
De gloire, d’éclat et d’honneurs,
Mais que vous étiez plus heureuse
Lorsque vous étiez autrefois,
Je ne veux pas dire amoureuse,
La rime le veut toutefois.
Je pensais que le pauvre amour
Qui toujours vous prêta ses charmes
Fut banni loin de votre cour,
Lui, son arc, ses traits et ses armes,
Et ce que je puis espérer
En passant près de vous ma vie,
Si vous pouvez si maltraiter
Un qui vous a si bien servie.
Je pensais, car nous autres poètes
Nous pensons extravagamment,
Ce que dans l’éclat où vous êtes,
Vous feriez, si dans ce moment
Vous avisiez en cette place
Venir le duc de Bouquinken
Et lequel serait en disgrâce,
De lui ou du père Vincent.
Je pensais si le cardinal,
Je dis celui de La Valette,
Voyait le brillant sans égal
Dans lequel maintenant vous êtes,
J’entends celui de la beauté,
Car au prix je n’estime guère,
Cela soit dit sans vous déplaire,
Tout celui de la majesté,
Que tant de charmes et d’appas,
Qui naissent partout sous vos pas
Et vous accompagnent sans cesse,
Le feraient pour vous soupirer,
Et que Madame le Princesse
Aurait beau s’en désespérer.
Je pensais à la plus aimable
Qui fut jamais dessous les cieux,
À l’âme la plus adorable
Que formèrent jamais les dieux,
À la ravissante merveille
De cette taille sans pareille,
À la bouche la plus vermeille,
La plus belle qu’on vit jamais,
À deux pieds gentils et bien faits
Où le temple d’amour se fonde,
À deux incomparables mains
À qui le ciel et les destins
Ont promis le sceptre du monde,
À cent appas, à cent attraits,
À cent mille charmes secrets,
À deux beaux yeux remplis de flamme
Qui rangent tout dessous leurs lois :
Devinez sur cela, Madame,
Et dites à qui je pensais.
Je me meurs tous les jours…
Je me meurs tous les jours en adorant Sylvie,
Mais dans les maux dont je me sens périr,
Je suis si content de mourir,
Que ce plaisir me redonne la vie.
Quand je songe aux beautés, par qui je suis la proie
De tant d’ennuis qui me vont tourmentant,
Ma tristesse me rend content
Et fait en moi les effets de la joie.
Il me déplaît seulement de penser qu'avec toute cette tendresse que vous me témoignez, il y a quelque occasion pour laquelle vous voudriez que je fusse pendu.
Il faut finir mes jours en l'amour d'Uranie,
L'absence ni le temps ne m'en sauraient guérir,
Et je ne vois plus rien qui me pût secourir,
Ni qui sût rappeler ma liberté bannie.
Dès longtemps je connais sa rigueur infinie ,
Mais pensant aux beautés pour qui je dois périr,
Je bénis mon martyre, et content de mourir,
Je n'ose murmurer contre sa tyrannie.
Quelquefois ma raison, par de faibles discours,
M'incite à la révolte, et me promet secours ,
Mais lors qu'à mon besoin je me veux servir d'elle ;
Après beaucoup de peine, et d'efforts impuissants,
Elle dit qu'Uranie est seule aimable et belle,
Et m'y rengage plus que ne font tous mes sens.
Ceux qui font en aimant…
Ceux qui font en aimant des plaintes éternelles
Ne doivent pas être bien amoureux,
Amour rend tous les siens heureux,
Et dans les maux couronne ses fidèles.
Tandis qu’un feu secret me brûle et me dévore,
J’ai des plaisirs à qui rien n’est égal,
Et je vois au fort de mon mal
Les cieux ouverts dans les yeux que j’adore.
Une divinité de mille attraits pourvue
Depuis longtemps tient mon cœur en ses fers,
Mais tous les maux que j’ai souffert
N’égalent point le bien de l’avoir vue.
Ma foi, c’est fait de moi, car Isabeau
M’a conjuré de lui faire un rondeau.
Cela me met on une peine extrême.
Quoi ! treize vers, huit en eau, cinq en ême
Je lui ferais aussitôt un bateau.
En voila cinq pourtant en un monceau.
Faisons-en sept en invoquant Brodeau,
Et puis mettons, par quelque stratagème :
Ma foi, c’est fait.
Si je pouvais encor de mon cerveau
Tirer cinq vers, l’ouvrage serait beau ;
Mais cependant je suis dedans l’onzième,
Et ci je crois que je fais le douzième ;
En voilà treize ajustés au niveau.
Ma foi, c’est fait.