J'aime les frais matins peuplés de tourterelles,
Les ciels purs et lavés comme des aquarelles,
L'azur, tout ce qui chante et tout ce qui sourit,
L'humble lilas qui s'ouvre et doucement fleurit(...)
— Écoute, je vais m'en aller, je t'ai trouvée jolie
et douce. Je ne t'ai rien demandé. Je te souhaite de
n'être pas trop malheureuse dans la v»e. Est-ce que tu
te rappelleras ce monsieur français inconnu avec
qui tu as parlé de Tihony? Est-ce que tu penseras un
peu à moi?
Miroslav Hirack a le pressentiment commimi*
catif. Vraiment, le manuscrit des Mémoires^ retrouvé
ainsi, ce serait trop beau! Un détail me frappe,
néanmoins. Hirack a dit quatorze gros cahiers. Les
Mémoires de Casanova, en 1798, formaient quinze
tomes, on l'a vu... Il en manquerait donc un dans la
collection du chiffonnier de Slavkov. Et si ce quin-
zième tome manquant n'était pas constitué par les
deux chapitres autographes, conservés en brouillon
dans les archives de Dux, d'où les quatorze volumes
Dans la nuit et dans l'aventure. Nous étions sortis
de la ville, et nous roulions par la campagne, vers
une (direction inconnue. J'avais l'impression d'être
enlevé. Ricolfi dégage de toute sa personne, de sa voix
sonore, de son rire à tout coup éclatant et prolongé
comme un aboiement, une impression de puissance
extraordinaire. Ce n'est pas un homme, c'est un élé-
ment. Nemrod devait être quelqu'un dans ce genre.
Cette puissance n'est pas du tout désagréable. Ricolfi
est gai, et sa force communique une sorte de con-
fiance allègre. Il s'était assuré que je me trouvais
bien, il m'avait jeté sur les jambes une fourrure épaisse,
Nous sommes retournés nous asseoir à notre table.
Nous avons bu encore du Barak, le gér^t a mis à la
porte l'ivrogne qui devenait encombrant, je suis devenu
mélancolique. Mimi Bols a continué de me raconter
sa vie sans intérêt. Le gros tzigane est encore venu
nous verser dans l'oreille ses confidences violonées,
sa musique en forme de vrille.
Tant pis donc pour Vienne! Cependant, une idée
plaisante m'a diverti, et je fis partager à Chouanet le
sujet de mon hilarité. C'était de penser que le bon
M. Swervagius, qui me suit partout, irait m'y chercher
en vain. Le visa refusé me rendait la journée dispo-
nible. Chouanet me proposa une promenade, et j'ai
vu quelque chose de très beau. C'est, à quelques
kilomètres en amont de Bratislava, à Djevin, le con-
fluent du Danube et de la Morava.