| Avango le 13 août 2017
Le jour où j’ai rencontré Stephen King dans un bar, j’avais dix ans.
Je vous vois venir de loin, avec vos remarques à quatre balles : « Eh, benêt, si t’avais dix ans, ça m’étonnerait que tu l’eusses reconnu (parce que, bien sûr, pour bien démontrer votre intelligence supérieure, vous pratiquez le subjonctif plus-que-quelque-chose, mais moi, le subjonctif, je n’en ai rien à cirer). Et d’abord, qu’est-ce qu’un gars de dix ans pouvait bien faire dans un bar, hein ? »
Eh bien, je vais vous dire: vous avez raison, je l’ai pas reconnu.
En ce qui concerne ma présence dans un bar : je ne vous permettrai pas de mettre en doute les pratiques pédagogiques de mes géniteurs, qui étaient, peut-être, assez originales, mais, au vu du résultat, pas totalement ratées. D’accord, j’ai un léger penchant pour l’alcool, mais, par contre, toutes ces heures passées à trainer dans ce genre d’établissements à attendre mes parents, ont permis de porter mon côté social, déjà bien présent au naturel, à des hauteurs fort appréciées de mes multiples compagnons de route (routes des vin, haha, oui, aussi).
Mais là n’est pas la question. Quoique, comme ce récit va vous le prouver, l’apprentissage approfondi de la conversation de bar a eu, dans ce cas, des effets particulièrement positifs pour certaines personnes.
Bon, je reprends.
Le jour où j’ai rencontré Stephen King dans un bar, j’avais 10 ans. Mes parents avaient élu domicile pour la soirée dans un café, dont j’ai complètement oublié le nom, dans le centre de Stratford, une ville du Connecticut. Vous connaissez pas le Connecticut ? Le subjonctif plus-que-parfait, oui, mais un peu de géographie, non ? C’est un état situé au Nord-est des États-Unis, monsieur le génie, pas très loin de New York. Oui, bien sûr, New York, vous connaissez. Manquerait plus que ça, banane !
Donc, et cessez de m’interrompre, si non, on va pas y arriver, je trainais, pardon, je m’occupais tant bien que mal dans ce bouge, parce que, faut bien l’dire, c’était plutôt misérable comme endroit, pendant que mes parents vaquaient à leur occupation favorite : lever le coude. J’avais eu droit à mon soda auquel mon paternel avait rajouté la p’tite rasade de whiskey habituelle. Mon foie ne le remercie pas, ça, je peux bien vous le dire. Mais revenons à nos moutons.
Dans ce bar, il y avait une serveuse qui plaisait à mon père, du moins, c’est ce que j’avais cru comprendre lors d’échanges assez énergiques entre mes parents. Elle, la serveuse, elle ne lui accordait pas un regard, à mon géniteur, surtout ce soir dont je vous parle, tant elle était occupée à faire la conversation à un autre mec, accoudé au bar, la trentaine, une épaisse chevelure brune, de grosses lunettes, et pour le reste, honnêtement, je n’ai plus aucun souvenir. Quoi ? Si j’avais pas remarqué qu’il ressemblait à Stephen King ? M’enfin, vous venez de le dire vous même ! J’avais dix ans, comment voulez-vous que je reconnaisse (eh oui, moi aussi, quand il faut, je pratique le subjonctif) une quelqu’une ressemblance !
Moi, ce que j’aimais pas chez ce type, c’est qu’il arrêtait pas de me reluquer. Enfin, regarder, parce que, reluquer, c’est plutôt entre adultes de sexe différent, il me semble. Ça me mettait fichtrement mal à l’aise. J’étais un gamin sociable, d’accord, mais à dix ans, selon moi, on est aussi encore timide. Bref, pour échapper à cette attention malvenue, je me suis cherché une occupation loin de ce type, et là, de l’autre côté du bar, j’ai vu le gamin de la serveuse. Je l’avais déjà vu lors de précédentes visites, mais je l’avais pas trouvé plus intéressant que ça, et j’avais donc pas cherché à faire ami-ami. Il jouait avec une voiture, un genre de décapotable rouge, et il avait l’air de se sentir aussi seul que moi. Le gars au bar, il avait vu que je regardais l’autre gamin, et du coup, il a commencé à s’intéresser à lui aussi. Il a posé des questions idiotes sur la voiture : « c’est quoi la marque, et son nom, tu ne lui as pas donné de nom, et blablabla et blablabla… ». Le p’tit – enfin, p’tit, il avait à peu près mon âge - il m’a regardé d’un drôle d’air, et on s’est compris. Il m’a fait signe, et ni d’une ni de deux, on s’est mis à jouer ensemble. Le grand dadais n’arrêtait pas de nous zieuter, mais nous, on a fait comme s’il n’existait pas.
Bref, on s’est occupé l’un l’autre, les quelques heures dont mes parents ont eu besoin pour bien se beurrer, et mon père pour se rendre compte qu’il n’avait aucune chance auprès de la serveuse vu que, et de un, déjà, ma mère le couvait comme une mouche sa merde, et de deux, l’autre bellâtre avait toute l’attention de la barmaid à qui il causait de choses dont mon père connaissait à peine l’existence, genre livres, films et autre bazars d’intellos. Moi, je m’amusais bien. Le gamin était sympa, on a beaucoup parlé. Pour une fois que j’avais une oreille attentive, j’en ai profité pour lui confier mes secrets et mes cauchemars. Bon, de temps en temps, l’autre andouille délaissait la serveuse, et y allait de ses remarques et questions, comme s’il se prenait pour mon psy, mais on le rembarrait à chaque fois. Merde, quoi, un adulte, ça s’occupe de trucs d’adulte, pas des affaires de gosses !
Bref, tout ça pour vous dire que, tous ses livres à Monsieur King, eh bien, croyez-le ou pas, je connaissais l’histoire avant de les lire. Parce que, le clown qui fait peur, les objets qui bougent sans qu’on les touche, les vampires, la tronçonneuse et tout le bataclan, ça vient de moi. C’est moi qui, ce soir-là, lui ai refilé toutes les idées. D’ailleurs, mes parents s’appelaient Wendy et Jack - oui, c’est ça, comme dans Shining - enfin presque, Wanda et Jacob, mais quand même, c’est presque pareil. Alors, c’est pas une preuve, ça ?
Quoi, le type au bar ? Je sais pas moi, ce qu’il est devenu ! Par contre, le gamin, lui, je sais. Et sa voiture ? Elle avait un nom, oui. Lequel ? Ben, Christine, pardi !
|