| Laerte le 30 janvier 2019 Derniers jours, je me dépêche de poster, après plein de bons textes déjà publiés. Bravo pour tous ces moments de lecture.
En direct de la case.
Ce jour-là, je regardais le journal de treize heures et j’étais halluciné par le nombre de catastrophes qui pouvaient avoir lieu tandis que je restais vautré sur mon canapé. Tremblements de terre, tsunamis, accidents d’avions, avalanches, éruptions volcaniques, cyclones. C’était une longue énumération de malheurs qui s’abattaient sur la tête des Terriens. Rien n’était épargné à mes frères humains ou autres animaux pendant que je bayais aux corneilles.
Je commençais à me sentir mal et vaguement coupable, quand soudain, la présentatrice changea de registre :
- Nous retrouvons maintenant notre envoyé spécial Mithridate Dupont en direct du Parc Astérix où il va nous présenter une nouvelle attraction. Bonjour Mithridate, alors il semble que vous ayez découvert, eh bien ! une surprise étonnante.
- Oui, bonjour Marie-Apolline, je suis actuellement eh, bien ! dans le superbe parc Astérix, le plus français ou du moins le plus gaulois et le plus surprenant qu’on ait pu voir depuis des années. Je suis, eh bien ! au milieu de gens qui se réjouissent d’être ici. Ils s’amusent et je peux vous dire qu’ils ont tout ce qu’il faut pour ça.
Entendre ce début de reportage me rassurait : je n’étais pas le seul à ne pas me soucier des malheurs du monde. Vas-y, Mithridate, fais nous rire !
- Des toboggans, des grands-huit, des manèges et autres trains fantômes. Il y a, eh bien ! tout ce que les visiteurs peuvent souhaiter dans ce parc. Mais, aujourd’hui, s’est ouverte une nouvelle attraction. Mais c’est plus qu’eh bien ! une attraction, c’est un voyage extraordinaire, et le plus extraordinaire, eh bien ! parce qu’unique au monde. Cela s’appelle la case Goscinny et vous allez voir que ce n’est pas, eh bien ! une exagération quand je vais vous le montrer.
Ça devient fatigant ces « eh bien » continuels et cette excitation. Qu’est-ce qu’il a bu ou fumé pour être dans cet état là ?
- Mais je vous invite à me suivre, eh bien ! pour découvrir cette nouvelle attraction, pardon, ce nouveau voyage. Vous allez voir que le parc ne recule devant rien pour nous surprendre, pour VOUS surprendre.
Il passe par une porte au dessus de laquelle on aperçoit le nom de ce nouveau site en lumières violentes et clignotantes, passe par un couloir sombre avant de pénétrer dans un espace dégagé. On y voit des bâtiments bas et des sortes de huttes, façon Astérix. Rien de surprenant, jusqu’à maintenant. Il n’y a pas de quoi s’énerver à ce point. Ah ! et puis, au fond, on aperçoit des tentes coniques, genre tipis indiens. C’est finalement très varié comme décor.
Le journaliste continue à s’enthousiasmer tout seul, mais je n’écoute déjà plus ses commentaires excités.
C’est alors que se présente un grand gaillard, torse nu avec un drôle de pantalon et des plumes sur la tête. Ah ! Mais je le reconnais, c’est Oumpah-Pah, un des premiers héros de Goscinny et Uderzo. Le déguisement est fabuleux, bien moins caricatural que ceux qu’on voit habituellement dans les parcs. Il s’adresse à Mithridate, ci-devant journaliste, et là, je découvre que ce n’est pas un masque, mais lui qui parle réellement.
- Oumpah-Pah salue celui-qui-parle-comme-si-il-était-assis-sur-une-fourmilière. Lui être heureux de rencontrer ses héros favoris ?
Pour la première fois, Mithridate Dupont a le souffle coupé. Il ne sait plus quoi dire. Il est vraiment en présence du personnage bien vivant. Il tente même de le toucher, ce qui ne semble pas émouvoir l’Indien souriant.
- Oui, moi bien vivant ! Toi bientôt rencontrer autres amis, comme Double-Scalp, mon ami venu d’au-delà-des-mers.
En fait, ce n’est pas Double-Scalp qui se présente mais un cow-boy que je reconnais aussitôt, tant sa dégaine est célèbre. Bien sûr, ce n’est plus René Goscinny qui écrit ses histoires, mais ces deux-là sont quand même indissociables. Oumpah-Pah l’accueille avec un grand sourire.
- Bienvenue à mon frère qui-tire-plus-vite-que-son-ombre.
- Salut l’Indien, tu n’as pas vu Rantanplan ? Répond-il en scrutant les alentours, avant d’ajouter, j’ai toujours peur que ce stupide chien fasse des bêtises.
Nouvelle surprise : arrive, un petit bonhomme blond avec des moustaches qu’il est impossible de ne pas reconnaitre : Astérix, lui-même. Mais contrairement à l’habitude, il n’a pas le sourire. Je le vois se diriger vers Lucky Luke avec une mine furieuse.
- T’es encore là, toi ? Qu’est-ce que tu fais encore dans ce parc ?
Lucky Luke, en revanche, reste parfaitement calme et décontracté, comme il convient à un héros de western.
- Hé ! Mec, je suis dans la case Goscinny, et c’est mon droit. René et moi, on est resté amis. C’est lui qui m’a scénarisé pendant des années et qui m’a donné à connaitre mes plus belles histoires.
- Oui, peut-être, mais tu t’es vendu à d’autres, et tu n’es même plus dessiné par Morris.
- C’est pas de ma faute si René est décédé si tôt. Et en parlant de ça, toi non plus, tu n’es plus scénarisé par lui et même plus dessiné par Albert. Et Oumpah Pah ? Tu l’acceptes alors qu’il n’est plus publié du tout depuis des décennies.
- Oui, ben c’est mieux que d’avoir trahi son inventeur. Et puis, je suis chez moi, dans mon parc. Je fais ce que je veux chez moi !
La caméra est braquée sur ces deux là qui se disputent. On ne voit même plus le journaliste qui reste muet.
De mon côté, je suis éberlué par l’attitude de ces héros qui ne ressemblent pas aux personnages que l’on connait. Sur le papier, Astérix est toujours accueillant et souriant avec les gens qu’il rencontre.
Les vraies natures se révèleraient-elles ?
Tiens ! en voilà un autre ! C’est encore un personnage de René Goscinny : le grand vizir le plus ambitieux et le plus nuisible que la terre ait porté : Iznogoud. De plus, il est vraiment le plus laid aussi avec son nez en bec de corbeau. A ma grande surprise, il essaye de calmer le jeu :
- Mes amis, je vous en prie, ne vous disputez pas. Nous sommes tous des frères, puisque nous avons le même père. Ce cher René ! que penserait-il de votre attitude.
- Mais c’est Astérix qui m’agresse dès qu’il me voit. Il ne supporte pas que j’ai autant de succès que lui. Mon dernier album a encore fait un carton, alors, ça lui fait de l’ombre, à Môôssieur Astérix.
- Ah ! Parlons-en de ton succès ! Mais bon, ce n’est pas à cause de ça. Je ne suis pas jaloux, vous n’avez qu’à relire tous mes albums.
- Oui, justement, tous tes albums sont remplis de disputes avec tes amis, y compris avec le plus proche : Obélix.
Iznogoud insiste, une nouvelle fois.
- Allons, serrez-vous la main !
- Oh ! toi, fous nous la paix ou je raconte à Haroun-el-Poussah toutes les manigances que tu prépares pour prendre sa place.
- Mais ça, c’est pour les scénarios. On me fait endosser un habit qui n’est pas pour moi. En réalité, je suis plutôt gentil, alors que vous êtes toujours les héros les plus forts, les plus généreux, mais qu’en vrai vous êtes envieux l’un envers l’autre.
- Evidemment, avec sa potion magique, il n’a pas de mal à jouer au plus fort.
- Et toi, avec ton revolver, tu tires à distance, c’est facile de faire le costaud.
Je me demande jusqu’où cette dispute ira. Vont-ils en venir aux mains ?
Mais à ce moment, surgit du fond du décor, un petit garçon. Oh ! C’est le Petit Nicolas, toujours en culotte courte comme ça se faisait à son époque. Il arrive d’un pas ferme et s’adresse aux autres d’un ton sans réplique.
- C’est fini, oui ? Vous allez nous embêter encore longtemps avec vos histoires. Vous allez vous calmer immédiatement ! C’est compris ?
Je n’en reviens pas de voir ce gamin employer ce ton résolu vis-à-vis des autres qui se sont tus illico.
Quelle autorité !
Mithridate, le journaliste en profite pour se remettre en marche.
- Quelle scène hors du commun, c’est du jamais vu depuis… euh ...! depuis euh.. toujours, ça donne le vertige. Voyez ce que, eh bien ! vous pourrez voir si vous venez ici, au Parc Astérix, le plus extraordinaire parc à thèmes de tous les temps. A vous Marie-Apolline !
Là, j’ai éteint la télé, j’en avais assez vu pour la journée.
|