LES TROIS FÉES
Près du berceau royal entouré de trophées,
Délibéraient, un soir, les trois méchantes fées
Que la Cour oublia d'inviter au festin.
« Faisons à cet enfant le plus affreux destin
Qu'un homme ait jamais eu! grondaient-elles. A l'oeuvre! »
L'une dit, en sifflant ainsi qu'une couleuvre :
« Donnons-lui la Laideur; il faut qu'il soit si laid
Que les chèvres des bois lui refusent leur lait.
— Et donnons-lui la Peste », ajouta la deuxième.
Alors, s'étant levée à son tour, la troisième
Déclara :
« Ce n'est pas suffisant, ô mes sœurs :
Pour le pestiféré la terre a des douceurs
Et la face du monstre à son heure est ravie.
Il faut que cet enfant souffre toute sa vie,
Il faut qu'il soit hué, qu'il soit persécuté,
Qu'il traîne sur ce globe un corps déchiqueté
Par les crocs de l'Envie obscure et haïssable,
Qu'il laisse de son sang à tous les grains de sable,
Qu'à chaque appel qu'il pousse on l'abreuve de fiel,
Et, quand se fermeront ses bons yeux pleins de ciel,
Qu'il sente encor la Haine à son lit d'agonie !...
Et pour cela, mes sœurs, donnons-lui du Génie. »