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Critique de Meps


Quand je choisis un livre, l'originalité de l'alliance époque historique-point de vue est souvent essentielle. Par exemple, un livre sur l'immédiat après seconde guerre mondiale n'a a priori pas grand chose à nous apprendre au vue de toute la littérature existante. Mais ce même livre, écrit du point de vue des "perdants" dans une ville tenue par l'armée occupante américaine, on sent l'intérêt revenir au galop. C'est ce qui explique en bonne partie mon choix de sélectionner ce livre dans la Masse Critique de rentrée et je remercie les éditions Les Ailleurs (quel joli nom !) et Babelio d'avoir validé ce choix !

D'abord dire le réel talent de l'auteur dans le fait de mener une narration sur plusieurs époques différentes. L'exercice est périlleux, et j'ai souvent observer des livres où une des parties (historique ou contemporaine) pâtissait de la comparaison avec l'autre, où on attendait avec impatience la fin de certains passages pour retrouver l'autre récit. Ce n'est pas du tout le cas ici, sans doute en bonne partie grâce à un choix payant : un personnage principal différent dans chaque époque: la mère dans sa jeunesse, le fils dans le présent. On est en totale empathie avec les deux personnages, par les épreuves subies par Greta dans le passé, par les recherches d'un Tom maladroit pour reconstruire le passé d'une mère dont la mémoire s'effiloche.

Maladroit en effet, car l'auteur ne ménage pas ses personnages. Elle ne les présente pas forcément sous leur meilleur jour (la Greta "contemporaine" est par exemple bien moins agréable), elle ne cherche pas à en faire des stéréotypes, elle les humanise en les complexifiant, en n'omettant pas du tout leurs défauts, en les exacerbant même parfois. Même les personnages secondaires sont fouillés, et cela permet également à l'auteur de retarder en face l'histoire allemande, en essayant de comprendre les mécanismes plutôt que de juger les personnes. C'est la meilleure des façons pour aborder le nazisme et ses implications sur toute la société allemande, montrer que ses théories nauséabondes ont forcément instillé leur poison sur l'après-guerre, la paix n'ayant pas pu faire disparaître des années d'éducation.

Le style n'est pas renversant, pas d'envolées lyriques ni de trouvailles époustouflantes. C'est le premier roman de l'auteure dont le passé solide de réalisatrice de documentaires à la télévision allemande mène quasi logiquement à un style plutôt journalistique. Mais cela permet aussi une évocation qui sonne juste des coulisses de la fabrication d'un journal télévisé par le biais de Tom, le présentateur vedette. Et une bonne gestion de la multiplication des sujets dans le récit, la maladie d'Alzheimer, le racisme, les rapports parent vieillissant-enfant pressé, l'actualité politique des migrants en miroir avec les mouvements de population d'après-guerre, mais surtout.... Non, je ne vous dévoilerait pas un des sujets phares du livre parce que l'auteur a pris la peine de construire son récit pour le faire doucement apparaître progressivement, pour que son arrivée ne soit pas une totale surprise mais un mystère, un secret de famille qui sort du brouillard hivernal.

J'aurais bien aimé que l'éditeur ait la même prévention que celle que je manifeste avec vous... mais il était apparemment trop tentant de faire figurer ce sujet original dans le quatrième de couverture, le résumé pour la presse... J'évite habituellement de lire ces petits textes machiavéliques mais lors d'une Masse critique, on doit bien s'accrocher à certains éléments pour arrêter son choix parmi une bonne centaine d'ouvrages proposés ! J'aurais pu me contenter de critiquer les propensions au buzz mercantiliste des maisons d'éditions (avec un si joli nom pourtant...) mais je soupçonne une complicité dommageable de l'auteure, qui ne semble pas craindre le divulgâchis. En effet, au milieu du récit, elle évoque Homeland, une série en vogue en 2015, époque évoquée. Et elle révèle tranquillement un moment charnière de la série, sans y voir de problème. Et comme problème, il peut y avoir le fait que je sois parfois très en retard... et que nous regardions à la maison cette série ces dernières semaines... Vous le voyez arriver le problème ? .... Et bien non, heureusement, j'ai dépassé le moment évoqué par l'auteure... Mais vous comprendrez que pour le pourfendeur du spoil que je suis, l'éventualité qu'à quelques semaines près, cette révélation aurait pu être désastreuse m'a fait diminuer d'une demi-étoile la notation de ce livre que je vous recommande pourtant, pour le voyage qu'il nous offre dans des terres temporelles et géographiques que nous n'aurions jamais visité sans lui, avec une réflexion profonde sur les implications que cela amène sur notre époque.
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