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Critique de PatrickArduen


En 1976, le partenariat France-Iran est au beau fixe, le Chah veut moderniser à grands pas son pays, et de juteux contrats sont en pleine négociation, adossés à la rente pétrolière qui inonde les caisses de l'Etat.
Et c'est dans ce contexte prometteur qu'un ingénieur français, spécialisé dans le nucléaire, part s'installer avec sa famille à Téhéran, dans les conditions privilégiées qu'on imagine. Et le jeune Mathieu, quittant la banlieue parisienne, se retrouve dans la bonne société au lycée français de Râzi. Les enfants d'expatriés y côtoient de jeunes Iraniens. On y trouve même des filles, portées par la vague moderniste, comme Leyli, fille d'un commerçant aisé du Bâzâr de Téhéran, et brillante élève.
Et Mathieu se laisse peu à peu charmer par Leyli, et la tendre idylle se noue dans la luxuriance des patios fleuris, dans le parfum des épices orientales… tandis que tout autour d'eux, le climat se dégrade, la tension monte, et la tragédie du peuple iranien se prépare.
Car bien vite, l'innocence du gentil potache français va être mise à mal, dans ce pays musulman déboussolé et muselé par une police politique sans scrupule. Il se met en danger en partant à la recherche de Leyli dans les quartiers pauvres, il découvre l'âpreté des luttes politiques avec Mohsen, un prof de l'université qui l'introduit dans des cercles hostiles au régime…
Paradoxalement, on plonge aussi, en ce printemps 78, dans le flash obsédant du Mondial de foot, avec ses matchs France-Iran si lourds de symboles, alors que le bras de fer s'engage entre le pouvoir iranien shooté aux pétrodollars, et les mollahs chiites qui dénoncent « l'opium du peuple »…
Paradoxalement, on se retrouve dans une pièce de théâtre, avec la tragédie de Phèdre, jouée avec emphase par les élèves et les profs du lycée, comme une préfiguration de la scène historique qui se prépare dans le palais impérial…
Et en août 78, Mathieu, entraîné dans les rues de Téhéran par sa copine Leyli, et par ses nouveaux amis engagés dans l'opposition au Chah, nous permet de vivre –de l'intérieur – les mouvements de foule, les arrestations, les affrontements avec un peuple déchaîné, et le désarroi des militaires.
Nous qui avions suivi, de loin, cette Révolution iranienne de 1978, puis la prise très médiatisée d'otages américains à leur ambassade de Téhéran, en novembre 79, et l'effroyable guerre avec l'Irak, à partir de 1980, nous assistons impuissants à l'inexorable spirale de la révolution islamique qui va détrôner l'empereur des Perses. Et pendant ce temps, un vieux barbu fanatique, l'ayatollah Khomeini, attend son heure dans la banlieue de Paris, à une trentaine de kilomètres du palais de l'Elysée, à Neauphle-le-Château !
Quant à la bourgeoisie occidentalisée qui « gérait » le flot de pétrodollars, avec les ingénieurs français qui « géraient » les juteux contrats du nucléaire, du BTP, de l'armement, ils sont boutés hors du pays, ils prennent la fuite et perdent tout…
Car peu à peu, l'irréparable se produit ici et là, la répression se durcit, le sang coule… Pendant les émeutes du « Vendredi noir », le 8 septembre 78, Mathieu est dans la rue, et un copain l'interpelle en pleurant : « les soldats ont tiré sur la foule, Ramin est mort… » (1)
Et lorsque les Dieux ont soif, comme dans les atroces événements, barricades, épurations, guerre, qui firent basculer le royaume de France en 1789, les catastrophes s'enchaînent : l'incendie criminel du cinéma le Rex, puis, le 16 septembre, à la tombée de la nuit, un tremblement de terre de force 7 vient frapper le pays !
Mais au beau milieu de ce monde en bascule, se superpose une histoire d'amour semée d'embûches, comme le monde cosmopolite du XXIème siècle les généralise, entre un jeune Français de bonne famille et une Iranienne cherchant à s'émanciper des carcans traditionnels de sa famille. Un bel amour, un grand amour : un premier amour ! Et la langue subtilement poétique du roman rappelle les ghazels et autres chants d'amour de la poésie persane soufi : « le pays est comme une fleur, qui appelle des doigts d'amant sur la soie des pétales. Ses yeux, son visage, son corps à elle, tout entier était tendu vers moi, vibrant à l'amour qui fait tant défaut à l'homme. » (2)
Bien loin d'être un roman « à l'eau de rose », ce beau récit de soulèvement populaire et d'amour est à la fois un roman captivant, et un témoignage de cette Révolution islamique qui annonce déjà les futurs « Printemps arabes » et chutes de dictateurs de ce début de XXIème siècle…
(1) Page 319
(2) Page 334
Patrick ARDUEN, miz kerzu 2018
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