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Critique de tilly


tilly
29 novembre 2018
Je n'en avais jamais entendu parler, mais j'espère que cet étonnant récit de phare figure depuis longtemps dans la bibliothèque de tous les voileux de la côte atlantique (sinon, il devrait, point).

Extraordinaire histoire d'une vocation : à l'occasion de son service militaire dans la Royale en 1956, Jean-Pierre Abraham croise au large de Sein et Ar-Men.
Séduit par la position et l'isolement du phare, comme envoûté, le jeune homme se promet de revenir pour y travailler.
D'abord une période d'essai de 9 mois en 1959 qui confirme son intention, puis la formation exigeante de gardien de phare au Cap Gris-Nez et à Saint-Nazaire, et enfin l'embauche. En 1961, il a 25 ans, il est gardien en titre à Ar-Men !
Ce qu'il faut savoir, c'est qu'avant tout ça, ce jeune homme précoce originaire de Nantes était monté à Paris pour étudier les lettres, s'était fait remarquer dans les milieux intellectuels, et avait publié un premier récit au Seuil à 20 ans (Le Vent). Mais l'appel d'Ar-Men avait été plus fort que les sirènes germanopratines.

Écrit près de Forcalquier après sa démission comme gardien de phare et son mariage, Armen a paru au Seuil en 1967 ; il a été réédité en 1988 par les éditions le Tout sur le Tout. Mon exemplaire vient du quatorzième tirage en décembre 2017.

La photo de couverture à été prise par J.-P. Abraham depuis la galerie supérieure d'Ar-Men (on distingue la rambarde, au premier plan) : c'est l'ombre de la tour portée sur l'écume qui s'abat sur le socle du phare ; le sujet est sûrement beaucoup plus spectaculaire que l'image de son ombre, mais l'évocation de l'âme du phare par ce reflet grisâtre imprécis et mouvant est puissante.

De novembre à mai (sans doute 1963, non précisé), Jean-Pierre Abraham tient un journal de son quotidien sur Ar-Men avec l'un des deux autres gardiens (Martin, Clet) en alternance, pour des périodes de vingt jours, suivies de dix jours de repos sur l'île de Sein, quand la météo le permet. Il n'écrit pas pour être lu par qui ne connait pas le fonctionnement d'un phare, il faut donc se couler dans son rythme, accepter de découvrir peu à peu la routine de cette étrange vie enfermée. L'escalier devient vite un lieu familier..., comme la chambre de veille, la salle des machines, l'optique, les rideaux que l'on tire sur les vitres de la lanterne le jour, etc. Il m'a fallu un peu de temps pour comprendre les gestes qu'accomplissent les deux gardiens, car le fonctionnement technique du " feu " n'est jamais expliqué. Mais cela n'est pas frustrant. Intriguant au début, jusqu'à ce que cela devienne presque évident.

Il y a les corvées, les réparations, incessantes, nécessaires, qu'on peut imaginer monotones et ennuyeuses à la longue, mais il y a aussi, même s'ils sont rares, les temps morts, inoccupés. Le gardien Martin qui relit indéfiniment pendant des semaines, des mois, le même vieux journal. Abraham n'a dans sa chambre que trois livres qu'il connait par coeur : un catalogue des peintures de Vermeer, un recueil de poèmes de Pierre Reverdy, et un ouvrage sur une communauté monastique cistercienne. Cet hiver-là, il s'occupe en essayant d'écrire des textes pour accompagner les dessins que lui confie son ami Yves Marion (voir plus bas), un jeune peintre installé sur Sein.

Je ne voudrais surtout pas donner l'impression de conseiller la lecture d'une sorte de Manuel du Parfait Gardien de Phare (non-automatisé)...
Car Armen est bien autre chose, qui n'est pas facile à décrire, et qui tient à l'écriture particulière, atmosphérique, de Jean-Pierre Abraham.
Je vous dois l'honnêteté de dire que quelques (rares) fois, je n'ai pas tout compris aux beaux développements poétiques sur la peinture, notamment, ou à d'autres, plus introspectifs.
Par contre je me suis laissée emporter sans résistance par la force des descriptions de la mer, de la houle, par l'évocation des éclairages, de la pénombre, et encore plus, des bruits.
C'est magnifique.

ps - On peut voir/entendre J.-P. Abraham parler de son "métier" de gardien de phare dans l'émission Les Coulisses de l'Exploit, Ar'men du 19 décembre 1962 (vidéo ina.fr)
Lien : https://tillybayardrichard.t..
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