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Critique de Nastasia-B


EX-CEP-TION-NEL !
Waouh ! Ce n'est pas si fréquemment que je me laisse aller à un tel enthousiasme, mais là, là, il faut bien reconnaître que c'est un très, très grand livre, de l'ordre de l'exception. Par siècle, très peu d'endroits du monde sont capables de produire un livre comme celui-ci, car il faut une conjoncture d'événements particulière, et parmi ces endroits, encore faut-il avoir la chance d'avoir un Chinua Achebe sous la main.

Par exemple, nous autres Français, aussi orgueilleux que nous puissions être de notre littérature et de son histoire, nous ne pouvons pas nous targuer d'un Chinua Achebe. Les Islandais le peuvent, éventuellement les Grecs et les Italiens le peuvent, et encore, c'est assez discutable pour ces deux derniers, mais nous, non. Les Anglais, les Allemands ou les Espagnols non plus.

Comment vous dire ? Pour avoir un Chinua Achebe en France, il aurait fallu que la conquête des peuples gaulois par les Romains nous ait été décrite dans un récit riche et structuré par un écrivain du cru, un Éduen, un Arverne ou un Rème, par exemple. Il aurait fallu qu'il nous décrive de l'intérieur ce qu'était la (les) société(s) gauloise(s) et comment s'est effectuée la conquête, étape par étape. Là, nous aurions eu un Chinua Achebe, mais tel n'est malheureusement pas le cas.

Oui, en fait, le seul livre tant soit peu comparable que je connaisse est la Saga de Njáll le Brûlé, l'une des sagas islandaises du Moyen Âge qui nous conte l'implantation du christianisme en Islande et de la perturbation que cela a causé dans toute la société d'alors. Elle aussi avait son héros, c'était Gunnar en Islande, c'est Okonkwo au Nigéria. D'ailleurs, ces deux-là ont un destin très similaire.

Waouh ! Je le redis car j'ai peine à le croire tellement c'est fort. Quel témoignage ethnologique exceptionnel ! Merci monsieur Achebe d'avoir sauvé de l'oubli dès 1958 — c'est-à-dire avant l'indépendance du Nigéria — toute cette culture, toute cette tradition aujourd'hui disparue pour l'ethnie des Igbos. Imaginez si nous avions un livre qui nous parlait de la société néolithique qui a élevé les menhirs de Carnac, imaginez si nous avions un témoignage écrit du mode de vie à l'époque des pèlerinages de Stonehenge. Imaginez le bonheur que serait le fait de pouvoir lire de la main d'un Aztèque l'arrivée des Espagnols ou bien l'implantation de l'Islam en Asie centrale vue par un Ouzbek d'alors. Eh bien c'est ça qu'il nous offre, rien de moins. Ça et, évidemment, comment cela s'est terminé, d'où son titre.

La quatrième de couverture cite un proverbe africain qui colle merveilleusement au propos du livre et qui m'évoque immanquablement La Guerre Des Gaules de César : « Tant que les lions n'auront pas leurs propres historiens, l'histoire de la chasse glorifiera toujours le chasseur. »

En somme, nous suivons donc le destin d'un homme au caractère bien trempé, Okonkwo, un homme qui a envie de s'élever dans son clan et qui est attaché à la tradition des ancêtres. Dans la première partie, l'écrivain nous dresse le tableau de cette société traditionnelle disparue et, ce qui est remarquable, sans angélisme aucun. Il montre tant ses bons que ses mauvais aspects. Il n'hésite pas, par exemple, à nous montrer le rituel d'un sacrifice humain en réponse à de supposés oracles, exactement comme ils devaient se dérouler en Europe au néolithique et à l'Antiquité.

C'est un tableau vivant et d'une richesse rare. Les parties deux et trois font le récit de l'implantation progressive des blancs, via la religion et les missionnaires dans un premier temps, mais aussi et surtout, par son bras armé ensuite.

Chinua Achebe, montre, démontre ou remontre s'il était besoin, que la religion — tout au moins les grandes religions monothéistes encore dominantes de nos jours — sont et ont toujours été des éléments de pouvoir et de soumission. Depuis l'empereur Constantin c'est particulièrement vrai de la religion chrétienne. Christopher Marlowe, un témoin d'époque, n'en pense pas moins au moment des guerres de religion du XVIème siècle en France. La radicalisation religieuse que nous vivons en ce moment n'en est qu'un autre et énième avatar.

Bref, j'ai adoré m'imprégner de la culture de l'igname, du mode de pensée et des structures claniques, avec leur fonctionnement propre qui, je me répète, me rappellent énormément le fonctionnement social de l'Islande pré-chrétienne.

Oui, c'est donc un immense coup de coeur que ce Tout S'Effondre, un livre que j'avais emprunté à ma bibliothèque fétiche mais que je vais me dépêcher d'acheter, car c'est un livre que je tiens à avoir sous la main dans ma propre bibliothèque ; un livre d'une rare valeur. Mais bien sûr, ce n'est que mon avis, c'est-à-dire très peu de chose.
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