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Critique de chris49


Il est tout aussi passionnant de découvrir une pièce de théâtre par la lecture qu'on en fait que par ses mises en scène. Ainsi du théâtre d'Herbert Achternbusch que le public français découvre en 1980, grâce à la mise en scène d' « Ella » à la Comédie de Caen, puis au festival d'Avignon, par Claude Yersin, avec Nelly Stochl et Jean-Claude Frissung, et que je découvre quelques années plus tard dans le texte.
Ella est une des figures les plus tragiques, les plus brutalisées du théâtre contemporain. Il est difficile de parler d'Ella. Après la lecture d'Ella, le lecteur est saisi de stupeur, assigné au silence comme le personnage.
Aussi vais-je parler de « Susn ».
Mais pour parler de Susn, il était important de citer Ella et Gust, car ces trois-là font partie de la même famille. Personnages réels dont Herbert Achternbusch, qui engage également sa propre vie, s'empare pour créer son théâtre.
Quoique meurtrie considérablement, Susn est éclairée d'une grâce dont ni Ella, ni Gust ne sont pourvus à aucun moment. « Susn resplendit » écrit Achternbush au premier tableau. Sa « douloureuse nostalgie d'harmonie » renforce son refus d'une existence bâclée. Susn proclame, dès ses premiers mots, sa révolte, et il faudra quarante ans de vie et les cinq tableaux de la pièce pour l'anéantir. Cet état de nostalgie et de chagrin est inscrit d'un bout à l'autre de l'oeuvre. Contrairement à Ella, Susn grandit avec cette conscience « éclairée » qu'il existe en ce monde une beauté. Ella, elle, naît avec une conscience écrasée.
Est-ce qu'il s'agit pour autant d'une nostalgie propre à Susn, traitée comme un personnage emblématique, ou est-ce qu'il s'agit plus généralement de la nostalgie de l'écrivain envers une certaine vie d'avant l'écriture ? C'est une question difficile à résoudre étant donné que les paroles d'Herbert et de Susn sont inextricablement entremêlées. Mais c'est certainement une des entrées possibles de cette oeuvre.
Au fur et à mesure de ses élans d'insurrection, Susn s'épuise. Mais, cet épuisement, qui finit par l'emporter comme on peut le dire d'une maladie, ne tient pas tant de l'indignation, du rejet d'une existence brutale, que de la conscience d'un ailleurs et d'un autrefois harmonieux.
Les hommes qu'Achternbusch met en scène sont tous des oppresseurs. Susn en vient à s'opposer à la société masculine de manière radicale. La protestation de Susn face à ce bloc procède d'une ténacité inflexible. À la violence des situations, elle oppose une violence verbale jamais relâchée.
La langue, en tant qu'arme dévastatrice, n'a jamais été aussi bien mise en évidence. Achternbusch met en scène ici une guerre atrocement sanglante entre l'oral et l'écrit. Et nous comprenons ce terrible paradoxe de l'écriture qui entraîne l'écrivain dans un univers où il ne communique plus.
Ce qui est admirable dans ce texte c'est cette mise en scène de l'écrivain dans son activité d'écriture, et cette constante obscénité de l'écriture qui ramasse tout ce qu'elle trouve.
La lucidité de l'écrivain Achternbusch, au regard de la vanité de toute écriture, est une des leçons récurrentes que nous retenons. Nous comprenons que l'écriture, matière primordiale et essentielle de ce théâtre, est extraite d'une matière plus antique, originelle et sauvage : l'oralité. L'utilisation de cette langue parlée, de cette langue « d'avant l'écriture » , sans cesse explorée par Herbert Achternbusch, trahit indubitablement une nostalgie de la parole brute.
La suffisance de l'écrivain n'excède jamais, nous confie-t-il (et nous réalisons quels regrets se trouvent cachés derrière ces mots), la réalité de la langue originelle.
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