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Critique de fanfanouche24


Quelle joie en cette rentrée littéraire 2017 de voir publiée cette mise à l'honneur du premier éditeur et ami de jeunesse de mon "écrivain-phare", Albert Camus... par une jeune auteure...

Un moment inoubliable grâce à Kaouther Adimi, avec le très courageux éditeur algérois, Edmond Charlot... qui fit ses débuts très jeune, à vingt ans, avec un texte d'Albert Camus, et de trois camarades théâtreux, "Révolte dans les Asturies"... Lancement passionnel dans ce métier d'éditeur-libraire, grâce , entre autres, à sa rencontre enthousiaste avec la libraire parisienne, Adrienne Monnier...qui l'enchanta ! Mais des éléments non négligeables ont précédé... qui ont favorisé le terrain: un grand-père très cultivé, qui n'avait pourtant fait aucune étude, qui lui offre un exemplaire des "Croix de Bois" dédicacé par Dorgelès, un père représentant chez Hachette, qui lui rapporte des livres, la rencontre d'un professeur de philosophie qui marquera également son ami de classe, Camus.
Je voulais nommer cet enseignant spécial, Jean Grenier, qui l'encouragea vivement dans son rêve de réaliser quelque chose dans "La chose imprimée" !

Je connaissais dans les grandes lignes , le parcours humain et intellectuel exceptionnel de cet éditeur, mais grâce à ce livre et aux extraits [ imaginés ] de son carnet de bord, [ rendus d'autant plus crédibles que l'écrivaine a utilisé des sources très détaillées, publiées par Domens ] j'ai appris mille nouvelles choses, entre les anecdotes incroyables de l'univers des éditeurs, imprimeurs, les nouvelles idées qu'il a apportées [ dont un détail dans la maquette des livres fréquent aujourd'hui, sans qu'on sache que cela provient de ce "faiseur de livres": les couvertures à rabats, qui permettaient d'ajouter des éléments sur le contenu du livre, et des renseignements sur l'auteur], la période terrible de l'après-guerre où Charlot créée une annexe de ses éditions à Paris, où le papier est rarissime, et où les grands éditeurs parisiens ne se comportent pas de la plus belle façon... faisant des "coups tordus" à ce petit éditeur , de surplus algérois, qui commence à leur faire de l'ombre....

Cet ouvrage par un subterfuge astucieux, fait alterner le passé et le "tout présent". Entre les extraits du journal d'Edmond Charlot, le récit propre de l'auteure sur l'histoire douloureuse de l'Algérie, les soubresauts violents , terribles de l'Histoire entre Alger et la France , et le présent immédiat, représenté par Ryad, un jeune du même âge que Charlot lorsqu'il a débuté son métier d'éditeur, qui par contre, n'a aucun goût pour la littérature, ni pour les livres, l'auteure nous offre ainsi un tableau plus subtil de la compréhension, perception d'un pays, d'une ville, Alger, de son quotidien, de son histoire dont la "petite-grande" histoire de cette librairie, témoin engagé, vivant d'une époque ... et aussi par les anciens de la rue Hamani...ex-rue Charras, que rencontre Ryad...

Il est juste venu de France pour faire un stage à Alger [avec le piston d'un proche de son père]... et le contenu de ce dernier va être de vider la petite librairie de Charlot, "Les Vraies Richesses", tout jeter , meubles, rayonnages et Les Livres !! puis repeindre le local qui est destiné à devenir une boutique de beignets !!


Je ne peux m'empêcher de transcrire un extrait des "Mémoires barbares" de Jules Roy:
" de cette aventure, dont nous ne savions pas que nous la vivions, il reste pour moi une sorte de mirage. Charlot fut un peu notre créateur à tous, tout au moins notre médecin accoucheur. Il nous a inventés (peut-être même Camus), engendrés, façonnés, cajolés, réprimandés parfois, encouragés toujours, complimentés au-delà de ce que nous valions (...)

Nous étions les poètes les plus grands, les espoirs les plus fantastiques, nous marchions vers un avenir de légende, nous allions conférer la gloire de notre terre natale [...]
Nous fûmes son rêve. C'est là que le sort le trompa, injustement, comme se lève une tempête sur une mer calme. A la bourrasque il tint tête tant qu'il put. Je ne l'entendis jamais protester contre l'injustice ni maudire l'infortune qui l'accablait.
Par moments, il m'arrive de me demander si nous avons été assez dignes de lui. " (p. 210-211)


Du mal à quitter ce livre et surtout cet homme très attachant et brillant que fut Edmond Charlot... qui à lui tout seul... a su découvrir des talents incroyables: Camus, Roblès, Audisio, Sénac, Amrouche, Jules Roy, Mohammed Dib..., [ Que les grands éditeurs parisiens, Gallimard, le Seuil, Julliard ne reculèrent pas à "débaucher" ! ]...Il continua son existence durant , à se battre contre les épreuves les plus âpres...

"17 mai 1938
[...] Mon engagement doit être absolu. C'est ainsi que je conçois mon travail. L'écrivain doit écrire, l'éditeur doit donner vie aux livres. Je ne vois pas de limite à cette conception. La littérature est trop importante pour ne pas y consacrer tout mon temps. " (p. 76)

Merci , en tout premier à Kaouther Adimi, qui nous offre une lecture éblouissante sur un personnage admirable...L'émotion est démultipliée puisque l'auteur est née à Alger, fait revivre une figure emblématique de la ville et remet en mémoire la très douloureuse histoire de son pays.. et ...comble des belles "coïncidences"... , celle et pas des moindres rejoint la devise d'Edmond Charlot choisie à la création de sa petite librairie-édition, "lieu crée par des Jeunes, pour des jeunes !"... Il reconnaissait lui-même qu'elle était un peu prétentieuse, mais il l'a conservée !

Donc un très bel hommage très réussi , rédigé par une "jeune auteure" !....
L'ouvrage est complété par des éléments bibliographiques avec lesquels Kaouther Adimi a travaillé, avec en plus des rencontres avec "les copains de Charlot" !, les précieuses publications des éditions Domens... autour du libraire-éditeur, ouvrages que je vais aller voir de plus près... Car je n'ai acquis seulement que son catalogue d'éditeur, publié par eux... [ il y a qq années !]



[N.B.
Une petite parenthèse personnelle, car à cette lecture, les images et les souvenirs reviennent avec une grande émotion: des années durant, je commandais des ouvrages épuisés à qq libraires d'ancien de "province", dont "Le Haut Quartier" à Pézenas, où je recevais les ouvrages et les courriers de la part d'une dame, Marie-Cécile Vène... Il m'a fallu qq temps pour apprendre que c'était la librairie qu'Edmond Charlot avait recréé en revenant en France, en 1962, après le saccage absolu de sa librairie, Les "Vraies Richesses"... En 2005, l'occasion m'a été donnée d'aller découvrir ce lieu. Un moment magique de discussions, d'échanges
avec Marie-Cécile Vène, qui m'apprenait parallèlement la fort triste nouvelle du décès d'Edmond Charlot, peu avant [ 2004]... Je n'aurai pas eu le plaisir de rencontrer ce "grand Monsieur"... mais curieusement, j'aurais été parmi ses clientes fidèles... anonymes, pendant plus de quinze ans !! ]
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