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Critique de Pasoa


"Histoire qui se déchire sur le corps d'une femme (poème à plusieurs voix)" est un recueil du grand poète syrien contemporain Adonis (Ali Ahmed Saïd Esber) qui puise son origine dans le livre de la Genèse (au chapitre 16, versets 1 à 14 puis au chapitre 21, versets 8 à 21).

Ces deux passages renvoient à l'histoire d'Abraham. Vieil homme âgé de 99 ans, celui-ci est poussé à quitter le pays de Canaan à cause d'une famine. Il s'installe en Égypte avec sa famille. Abraham est parti avec une promesse que lui a faite Dieu, celle d'avoir une grande lignée. Son épouse Sarah, alors âgée de 90 ans, se lamente pourtant auprès d'Abraham que Dieu l'ait rendue stérile et qu'elle soit ainsi devenue incapable de lui donner une descendance. Par dépit et par colère, elle demande à Abraham de prendre sa servante égyptienne, Agar, pour épouse. La jeune esclave pourra ainsi lui offrir une lignée. Quelques temps plus tard, Agar met au monde Ismaël. Audacieuse, la jeune mère en remontre à Sarah. Celle-ci furieuse s'en prend alors méchamment à sa servante. Agar s'enfuit dans le désert, sur le chemin de Schur (Palestine).
L'ange de Yahvé vient à elle et la somme de revenir auprès de sa maîtresse avec la promesse qu'Ismaël aura lui aussi une grande postérité. Entre temps, le voeu de Sarah d'enfanter est exaucé. C'est ainsi qu'elle donne naissance à Isaac. Sa colère contre Agar n'a cependant pas faibli. Ne souhaitant pas qu'Isaac ait à partager avec Ismaël l'héritage d'Abraham, elle ordonne à son époux de chasser Agar et son fils. Bannis et condamnés à l'exil, Agar et son enfant partent seuls en direction du désert de Beer Schéba...

"Histoire qui se déchire sur le corps d'une femme" est le récit de cet exil forcé en plein désert, de cette solitude, de cette détresse d'Agar, livrée à elle-même. le texte emprunte sa forme au registre dramatique, théâtral. Plusieurs acteurs (voix) se succèdent, s'entrecroisent tout au long de ce long poème-récit : celles du narrateur et d'un choeur, la présence d'un homme qui lentement tourne les pages d'un grand livre et celle enfin d'Agar.

Au travers du personnage d'Agar, avec une touchante sensibilité, Adonis fait apparaître tout le lien subtile qui unit tour à tour l'intime et l'universel, le passé et le présent, le sacré et le profane, l'esprit et le corps. le désert est ce lieu, cet espace où Agar se souvient de tout ce qu'elle a perdu, de tout ce à quoi elle a dû renoncer, ce lieu où lui revient avec insistance le souvenir de cet enfantement obligé, forcé, la présence à ses côtés de cet enfant (Ismaël) à la vie prédestinée dont elle ne sait encore rien.

Ce long poème est comme une ode subtile, une mise en équilibre sombre et lumineuse du destin d'une femme. Par le souffle qui engendre la parole, par les mots qui viennent toucher au coeur, Adonis rend compte de tout ce qu'une femme doit trouver en elle de ressorts intimes pour, dans une société patriarcale dominée par la tradition et la religion, être tout à fait elle-même. Un poème sur le destin passé d'une femme mais qui reste tellement présent...
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