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Critique de Henri-l-oiseleur


L'hôte de passage est le héros de ce roman hébreu, qui, installé en Israël, alors seulement "Palestine", dans les années trente, revient le temps d'une saison dans sa ville natale de Pologne, y séjourne un hiver avant de repartir "là-bas". Mais le titre du roman, cité de Jérémie, donne une profondeur particulière à cette chronique d'une ville juive de Pologne à quelques années de son élimination : "Espoir d'Israël, son sauveur au temps de la détresse, pourquoi serais-tu comme un étranger dans le pays, comme un voyageur de passage pour la nuit ?" (Jérémie XIV-8). Le mot "étranger" du verset (גר) désigne l'errant, celui qui ne fait que passer, qui campe, et ce mot désigne d'abord Abraham dans la Bible, et ici, Dieu lui-même qui n'a, pour ainsi dire, aucun endroit sur terre où s'établir. Le voyageur, ou l'hôte, dans le titre (ארח) n'est pas un synonyme d'étranger, mais renvoie à celui qui ne fait que passer et ne se sent pas concerné par les gens qu'il rencontre à l'étape, sachant qu'il ne les reverra jamais : l'hôte de passage, à proprement parler. En somme, derrière la thématique prenante et pathétique de l'enracinement physique des Juifs de Pologne en Pologne, derrière la galerie de portraits de personnages si divers et tous promis à l'anéantissement, il y a leur leur patrie spirituelle, Eretz Yisrael (le mot eretz, terre, pays, est dans le verset), dont ils restent exilés. Dieu lui-même est en exil, lui dont la Shekhinah, la Présence, ne réside plus sur terre depuis que son peuple est dispersé.

Les romans d'Agnon sont ainsi : ils se lisent à plusieurs niveaux de compréhension, comme la Bible ou la Cabale. Le nom de plume de ce grand écrivain, son nom hébreu, dit bien cette dualité : la racine produisant Agnon - עגן - s'utilise pour le cas de ces femmes dans la Loi juive, abandonnées de leur mari sans document légal de divorce qui les libèrerait et leur donnerait le droit de refonder un foyer selon la Tora. De même, pendant ces années trente du XX°s, Dieu semble avoir abandonné le peuple avec lequel il s'est "marié", comme disent les prophètes, mais sans lui donner l'autorisation de se remarier à un autre : Israël est seul sans être libre. De même enfin, un écrivain hébreu, est-ce un auteur sacré ? ou un romancier comme les autres ? Agnon se situe dans cette fêlure et cette ambivalence : abandonné, mais toujours lié, par cette tradition vieille de trois mille ans.
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