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Critique de VincentGloeckler


Dans un coin reculé de Sardaigne, un village perdu, à peine un hameau, se meurt doucement au milieu des broussailles, ses maisons mal réparées à l'aide de pansements de ciment et de plaques d'alu, ses enfants l'ayant déserté depuis longtemps pour des horizons moins ingrats. Un jour d'orage, pourtant, une vague humaine, majoritairement noire, le submerge, des migrants, trempés sous l'averse, encadrés par une poignée d' «humanitaires » blancs. Comment ces « envahisseurs » sont-ils arrivés là, que viennent-ils y faire ? Les habitants effarés et hostiles, face à cette intrusion étrangère brutale dans leur morne quotidien, découvrent que la troupe d'exilés, rescapée du voyage maritime à travers la Méditerranée, est assignée à résidence dans une vieille bâtisse désaffectée à l'écart du village, qu'ils appellent eux-mêmes la Ruine à cause de son état de délabrement. Ils y installent, tant bien que mal, « l'ennemi », lui fournissant non sans réticence nourriture et confort minimum. Peu à peu, cependant, un groupe de femmes, poussées davantage par la curiosité que par l'empathie, se rapproche des migrants, ouvrant la voie, en dépit du mépris et de la mauvaise humeur affichés par les «Autres», leurs voisins, leurs maris et leurs belles-mères, à un apprivoisement réciproque… On connait, depuis Mal de pierres (Liana Levi, 2007), tout le talent de conteuse de Milena Agus, et on le retrouve dans ce nouveau récit au plus haut. L'auteure donne une vraie épaisseur à ses protagonistes, qu'il s'agisse du petit Mahmoud, un enfant migrant renfermé et sournois en apparence, en fait traumatisé par la mort de ses proches au cours du voyage, du beau Saïd Amal, intellectuel syrien et habile cuisinier, musulman devenu athée par désespoir, de Tessy, la nigériane au ventre rond, enceinte de l'enfant d'un viol, du Professeur, de l'Ingénieur, de Lorena ou de Tantine, les « humanitaires » aux histoires compliquées, de Lina, la fille riche du village, brusquement libérée du joug maternel par cette rencontre avec les étrangers, d'un chien même, pauvre cabot estropié et borgne devenant Sir Gilles de Norfolk, par la grâce d'un anoblissement en remerciement de son empathie pour les plus fragiles. Au-delà de cette galerie de personnages hauts en couleur, des dialogues imprégnés de gai savoir et d'allègre insolence, de la force et de la fierté qu'affichent, comme dans tous les récits de Milena Agus, ses héroïnes féminines, on s'enchante de la manière dont elle montre comment un événement social - ici l'arrivée des migrants comme, dans Prends garde (Liana Levi, 2015), une jacquerie – peut transformer profondément les destins individuels. Et on se laisse convaincre peu à peu que les vrais sauveteurs ici sont moins les villageois que les migrants, métamorphosant, par ce qu'ils apportent du grand large et de leurs cultures, l'aride climat sarde en « saison douce »… Merci pour ce printemps de mots, Milena !
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