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Citations sur Histoire de pluie et autres poèmes (36)

PLUIE ET JARDIN (1967)
     
Pluie et jardin confondus :
deux éléments célèbrent leurs noces,
coïncidence que le regard
d'un témoin ne saurait séparer.
     
Ils s'enlacent si fort qu'une paume
ne peut s'insérer entre eux,
ils ne voient pas la chute des fruits
gorgés de miel qu'écrase leur étreinte.
     
Le jardin est en pluie ! La pluie est en jardin !
Pluie et jardin périssent l'un dans l'autre,
me laissant seule décider du destin
de l'hiver du Sud qui s'annonce.
     
Comment disjoindre jardin et pluie
pour une brève brèche de lumière,
pour que le menu frisson d'un oiseau
trouve place entre gouttes et branche ?

     
Extrait, traduit du russe par Christine Zeytounian-Beloüs - p. 61
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Hiver

Ô geste de l’hiver,
d’une froideur appliquée.
L’hiver a quelque chose
d’ine tendre médecine.

Puisque la maladie
lui tend les mains, confiante,
du fond de sa souffrance
et de l’obscurité.

Cher hiver, soigne-moi,
mon front sera marqué
du baiser curatif
de ton anneau glacé.

La tentation grandit
de me fier aux mensonges.
Dévisager les chiens
et enlacer les arbres.

Pardonner, comme par jeu,
d’un élan, dans un virage,
finir de pardonner
pour pardonner à d’autres.

Copier ce jour d’hiver
et son ovale vide,
Être à jamais en lui,
comme une simple nuance.
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Sonorité pressante

Sonorité pressante, depuis dix jours
je t’attends sur une route de campagne.
Et je t’attends encore sous la pleine lune.
Sonorité pressante, tu est là, tout près.
Viens tomber dans la fécondité de ma blessure.
Pourquoi te caches-tu en m’épiant?

Sonorité pressante, si lourde soit
ma faute, bien grande est ma douleur.
Quelle ouïe apprécies-tu, sinon la mienne?
La pleine lune me pardonne.
Mais nulle sonorité ne vient pour me guider.
Elle est absente. Pourquoi me dut-elle donnée?

Je ne partagerai ma lune avec personne,
elle n’aimera jamais que moi.
La lune découvre qu’elle est une avant-mort,
Sonorité pressante, je m’adonne
au jeu avec ton absence lunaire.
Sonorité pressante, pardonne-moi.
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Nocturne
Idées nocturnes, qui êtes-vous, qu’êtes-vous?
J’ai pitié de votre nudité timide.
Dommage, je n’ai pas la force de clore
les stores sur la pluie et les fleurs humides.

J’essaye d’écarter les ailes d’un chérubin
du minuscule enfer de la veilleuse.
Une branche de merisier, danseuse aveugle,
entame tristement son dernier acte.

Écrits nocturnes, qu,est-ce qui nous relie?
Vous êtes le discours de la nuit blanche.
Elle passée, vous n’appartenez à personne.
Faut-il vous conserver en sa mémoire?

Le jour aussi est blanc de brume, blanc de nuit.
Et regarder en bas de la falaise revient
à sortir un poignard de son souple fourreau :
tant paraît aiguisé l’argente de ces eaux froides.

La vie diurne est ruse, stratagème
pour rapprocher la nuit. Mais ma crainte grandit :
Et si la veille, dans la combe au-dessus du Ladoga,
le rossignol avait brûlé?

Non, mon Phénix est indemne, il sifflote :
Syllabe, syllabe — tiret, syllabe, tiret — tiret, tiret.
Le pointillé tâtonne, en quête d’un sens obscur,
et l’embarras des mots est plus doux que les mots.

Minuit tout rond. Chaque chose est neuve et fraîche.
Je sors des terres étrangères qui nous sont communes
pour revenir chez moi, dans le nocturne… quoi?
Dans le nocturne de ce qui me plaît.
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La Cerisaie (extrait)

Décrirai-je cela ? Je ne sais plus écrire…
Le monde est prisme, somme de disputes et d’hostilités.
La cerisaie fleurit à ma fenêtre :
ce jour de février si blanc en sept couleurs,
Jardin d’un jour despote à floraison précieuse.
Les yeux fermés que vois-je à la fenêtre ?
La neige du Jardin, plus audible que l’humaine sottise.
La Cerisaie ne berce pas de cerises,
non que le bûcheron lui promette l’éclosion d’un désert désolé.
Dès le début, l’union paraissait condamnée :
de la pensée et des inflorescences du décor visible.
Ainsi pensait Bounine : chacun pourra le lire
s’il le désire. Je le lis à cette heure.
Et plus le spectateur contemple le Jardin,
plus le Jardin conserve son secret.
Et peu importe ce que je lis dans la nuit,
qu’on le comprenne ou pas,
Le secret se révèle et se ferme. Combien de
temps peut-on se désoler sur le mystère que la nacre referme ?...

(février 2006)
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LEÇONS DE MUSIQUE

Dédié à Marina Tsvetaïva

J’aime ceci : comme à tout un chacun, Marina,
comme à moi,
d’un gosier frissonnant –
je ne dis pas : comme à la lumière, à la neige -,
cou tendu : on dirait que j’avale de la glace,
j’essaye de prononcer : comme à tout un
chacun,
on t’enseignait la musique. (Apprentissage vain !
faisant pleurer et rire Dieu,
vouloir apprendre au cierge les lois de l’éclairage.)

Deux obscurités égales ne s’entendaient pas :
le piano et toi, deux cercles impeccables,
dans le chagrin d’un sourd mutisme réciproque
supportant le langage étranger l’un de l’autre.

Deux sombres froncements unis
dans une rencontre insoluble et hostile :
le piano et toi : deux silences puissants,
deux faibles gorges : musique et parole.

Mais la prépondérance de ta solitude
est décisive. Le piano et toi ? Un prisonnier
de l’aphonie tant que dans le do dièse
un allié ne trempe pas son petit doigt.

Toi tu es seule. Personne pour t’aider.
Pour la musique ta leçon est difficile :
sans importuner d’objet blessant
ouvrir en soi le saignement du son.

Marina, prélude à l’enfance, au destin,
do mi, avant l’or des paroles amies,
ré, prélude à tout ce qui viendra après,
inclinaison commune de nos fronts pianistiques,

agrippée comme toi au tabouret,
ô carrousel, inanité de Gedike !
Faire tourner le rond qui siffle
autour du crâne et qui arrache le béret.

Marina, tout ça, c’est inventé pour faire joli,
au petit bonheur, en comptant sur la chance
de pouvoir crier pour une fois : je suis comme
toi !

Je crierais volontiers, mais voici que je pleure.

(octobre 1961)
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Dans ma rue depuis des années

Dans ma rue depuis des années
j’entends des pas : mes amis s’en vont.
Le lent départ de mes amis convient
à l’obscurité derrière la vitre.

Mes amis ne s’occupent plus de rien,
chez eux plus de musique ni de chants,
et seules les fillettes de Degas
lissent encore leur plumage bleu.

Mais pourvu que la peur ne vous réveille pas
désarmés au milieu de cette nuit.
Une passion étrange pour la trahison,
mes amis, vous embrume les yeux.

Solitude, ton caractère est rude !
Faisant luire l’éclat de ton compas de fer,
si froidement tu refermes le cercle,
sans écouter les promesses vaines.

Appelle-moi et récompense-moi !
Cajole-moi, ainsi choyée
je me consolerai, pressée contre ton sein,
ton froid d’azur me lavera.

Laisse-moi me dresser sur la pointe des pieds
dans ta forêt, au bout d’un geste ralenti
trouver des feuilles qui toucheront mon visage
pour sentir le délice de mon abandon.

Offre-moi le silence de tes bibliothèques,
les thèmes rigoureux de tes concerts :
devenue sage, j’oublierai les morts
et ceux qui sont toujours en vie.

Je connaîtrai la sagesse et la peine,
chaque chose me confiera son sens caché.
Prenant appui sur mes épaules, la nature
m’apprendra ses secrets d’enfant.

Alors, du fond des larmes, de la nuit
et de la pauvre ignorance du passé,
les merveilleux visages de mes amis
m’apparaîtront avant de s’effacer encore.

(1959)
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« Et le sourire imprécis de mon âme
erre là-bas dans l’oubli, le lointain
de cette patrie dont l’erreur singulière
m’offre l’étrangeté de la terre et des mots. »
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Donc, finalement je dirai

Donc, finalement je dirai
Adieu! Tu n’es pas obligé de m’aimer
Je deviens folle ou
Je tombe en démence
Comment as-tu aimé? Tu as goûté la
mort, mais c’est autre chose.
Comment as-tu aimé? Tu as tout détruit,
détruit si maladroitement
Donc, finalement je dirai...
Le travail d’un petit temple administre
encore, mais les bras sont tombés
Et les odeurs et les sons s’envolent
comme une volée en biais
Donc, finalement je dirai
Adieu! Tu n’es pas obligé de m’aimer
Je deviens folle ou
je tombe en démence
Donc, finalement je dirai...
(Romance tirée du film La romance cruelle d’Eldar Riazanov)
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Autres traductions

Le long de ma rue (extrait)

Le long de ma rue, cette année-là,
Résonnent des pas, mes amis s’en vont.
L’absurde départ de mes amis
À cette obscurité derrière les fenêtres, correspond.

O solitude ! Comme est dur ton caractère,
Étincelant tel un compas de fer,
Comme tu clos froidement le cercle,
De certitudes vaines, ne t’encombrant pas.

Laisse-moi me mettre sur la pointe des pieds dans ta forêt,
À cette extrémité du geste ralenti.
Trouver le feuillage et, du visage, le rapprocher,
Et ressentir l’abandon tel une félicité.

Accorde-moi le calme de tes bibliothèques,
De tes concerts, les motifs sévères
Et, sage, j’oublierai ceux
Qui sont morts ou ont terminé leur temps, vivants.

Et la sagesse et la tristesse, je connaîtrai.
Leur sens secret, me confieront, les objets,
La nature, sur mes épaules, s’épanchant,
Découvrira ses secrets d’enfant.

Et puis là, des larmes, de l’obscurité,
De la pauvre ignorance du temps passé,
De mes amis, de merveilleux traits
Apparaîtront et se dissolveront à nouveau.

Traduction : Sarah P. Struve.
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