AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de elisecorbani


J'avais été attirée par le titre énigmatique de ce livre de Tchinguiz Aïtmatov. J'apprécie beaucoup la capacité de cet auteur à emmener son lecteur très loin, dans des univers insoupçonnés et dans les émotions de ses personnages. Avec ces deux textes écrits et traduits en français dans les années 70, ça a encore été le cas, même si je ne le conseillerais pas en période de déprime ou de découragement. Les deux récits regroupés dans cet opus sont extrêmement âpres.

En réalité ce titre qui renvoie à une comptine enfantine, structurante dans le premier récit, correspond à un choix du traducteur et- ou de l'éditeur français car le titre russe parle plutôt du chien noir et blanc qui court sur le bord de mer, en fait un bloc rocheux servant de repère aux hommes partis en mer.

Ce choix permet d'insister sur la colonne vertébrale et le thème du livre : la sortie de l'enfance, dans un monde ultra violent, impitoyable, où les adultes sont impuissants à accompagner les jeunes vers leur avenir. Jeunes qui brûlent d'espérance et de plaisir à prendre leur place dans le monde des hommes, victimes désignées des désillusions qui les guettent.

L'auteur excelle à dépeindre les conditions de vie et le conditionnement psychologique des adolescents et des adultes qui les entourent et fait ressentir cruellement au lecteur le tragique de leur situation existentielle.

Le premier récit joue avec les codes de l'écriture légendaire, mythique, et aborde métaphoriquement la question de la disparition d'un peuple, celui des Nivkhes, groupe ethnique indigène de Sibérie, dont il ne reste aujourd'hui selon Wikipedia moins de 5 000 individus.

Dès l'incipit le lecteur est bercé par la description de la nature sauvage et inhospitalière de l'estuaire du fleuve Amour et de l'île de Sakhaline. Cela a été très émouvant pour moi car ma meilleure amie est née à Okha sur cette péninsule et je ne m'attendais pas à basculer dans cet univers avec ce livre.

Le deuxième récit nous transporte dans les steppes fertiles d'Asie centrale durant la "grande guerre patriotique". La communauté villageoise est durement éprouvée par le départ des hommes au front, l'absence de lettres, l'annonce redoutée puis concrète de leur mort.
Les autorités du kholkoze préoccupées par l'arrivée du printemps n'ont d'autre choix que de mobiliser les forces des adolescents pour préparer les labours et l'emblavement des plaines. Sultanmourat, qui donne son nom à cette longue nouvelle, est l'un d'eux, désigné comme chef de ce commando agricole.

Tchinguiz Aïtmatov dépeint longuement les préparatifs de ce départ, la relation fusionnelle des jeunes avec les chevaux qui seront leurs partenaires, leurs émotions bouillonnantes qui les opposent parfois, et les drames familiaux qui les hantent.
Livrés à eux même dans la steppe face à la misère et la violence de la nature, la violence des hommes, générée par leur époque, les jeunes verront leurs idéaux et leurs espoirs fracassés.

Nous quittons Sultanmourat dans un face à face terrible, suspendu pour toujours par le point final posé par l'auteur. Kirisk, le jeune nivkhe parvient à retrouver sa route sur la mer après que se soient sacrifiés pour lui les 3 adultes de son équipage perdu des jours durant après une tempête dans un brouillard muet et glacial.

Je ne conseillerais pas ce livre pour débuter dans la découverte de l'oeuvre de cet auteur que j'aime beaucoup. L'intensité dramatique de ces récits est très forte et m'a beaucoup touchée. Je suis allée voir les dernières pages pour me préparer psychologiquement à la fin que je pressentais dramatique. Encore une fois ce sont des textes d'une grande profondeur humaine qui donnent à partager des expériences difficilement transcriptibles.

C'est sûrement la vocation et l'immense talent de Tchinguiz Aïtmatov, écrivain phare du régime soviétique, mais aussi éprouvé dès l'enfance par la perte de son père durant les purges staliniennes, que d'élever un mémorial de pages à ces humbles destins.
Commenter  J’apprécie          50



Ont apprécié cette critique (5)voir plus




{* *}