AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de HordeDuContrevent


Roman des finitudes et des renaissances…

Un premier roman publié dans une maison d'édition confidentielle, un premier roman écrit par un auteur ambitieux qui ne veut rien de moins que confronter la grande mort des civilisations à la mort si banale des êtres humains, confronter la grande Histoire à notre intimité la plus inéluctable, reliant ainsi notre implacable condition de mortels à travers les civilisations qui renaissent elles de leurs cendres, inlassablement.

« de nouveau égaré dans un monde disparu, je n'ai plus à me préoccuper de la réalité »

De cette ambition, énorme il faut le dire, en résulte un roman qui a les qualités et les maladresses d'un premier roman d'une telle envergure. Un récit où l'enthousiasme, la sincérité, la fraîcheur, l'art romanesque le dispute à un foisonnement nerveux et une érudition grandiloquente. Pour toutes ces raisons, grâce et à cause d'elles, j'ai aimé lire Jardins d'exil, je l'ai trouvé attachant. Je le reprenais chaque fois avec curiosité, avec plaisir et même avec étonnement, celui de me faire réfléchir et de m'apprendre des choses. N'en déplaisent à celles et ceux qui n'ont vu que ses points faibles, avis, parfois très durs, que je comprends et respecte mais dont je ne partage pas la sévérité, bien au contraire. C'est un livre attachant pour lequel je ressens de la gratitude et beaucoup de bienveillance.

« La tragédie individuelle souvent s'efface devant la marche de l'histoire. Pourtant, combien le ballet ininterrompu des peuples parait dérisoire face aux drames d'une vie, unique et irréversible. Suivant le point de vue que l'on adopte, le lien entre l'intime et le monde bascule ainsi sans cesse entre engagement et renoncement. Rejeter la multitude tout autant que l'isolement. Chercher la compagnie tout autant que la contemplation. Fragile équilibre si déterminant pour notre santé mentale et par ricochet pour celles des sociétés ».

Alejandro est un jeune homme d'une trentaine d'années qui vit à Montreuil. Après avoir tenté des études de médecine, sa rencontre avec Sacha, un archéologue russe, à Jérusalem lui a fait prendre un tout autre chemin professionnel, au grand dam de ses parents : au lieu de s'occuper des vivants et de tenter de traquer la mort en eux, il s'occupe désormais des morts en cherchant des traces de vie en eux : il est désormais en effet chercheur en ADN ancien.
Nous sommes en 2011, le printemps arabe s'épanouit, il est tenu au courant de la progression des événements par le biais de Sacha, présent en Egypte, qui a réussi à sauver du musée du Caire un journal intime datant du VIè siècle, un journal taché de sang qu'il va parvenir à faire parler. C'est le journal d'une jeune femme centrée sur la correspondance amoureuse entre elle et la future impératrice byzantine Théodora.

Alejandro va devoir mener de fronts plusieurs problèmes en ce mauvais alignement des planètes : sauver ce journal, mais aussi et surtout sauver sa soeur qui vient d'apprendre qu'elle souffre d'une leucémie foudroyante. La vie de ces deux femmes, celle du VIè siècle et sa soeur sont désormais au coeur de la vie chamboulée du jeune homme, entrelacées, entrant en résonance l'une et l'autre, bouleversement qui est l'occasion pour lui de faire un point sur son enfance, ses souvenirs avec ses parents si différents l'un et l'autre, ses études, ses amis, ses amours, la vie nocturne à Montreuil.
L'occasion pour lui de développer de multiples réflexions philosophiques sur la finitude des hommes, sur celle des civilisations, sur la renaissance de celles-ci. Mais aussi d'élaborer des digressions personnelles sur la médecine, les religions, le rôle de l'art comme moyen d'apaisement des souffrances humaines, les modes de vie plus sains et les médecines alternatives qui guident. Tous ces jardins d'exil qui permettent à l'homme de s'élever de sa condition.

« Si la médecine nous répare, l'art nous soigne ».

Yanis Al-Taïr a ainsi attaqué de front plusieurs thématiques, ce qui peut paraitre non seulement périlleux mais aussi quelque peu indigeste. Il n'est est rien, certes ça foisonne mais jamais l'auteur ne prend le risque de nous perdre.
Il est vrai que certains développements peuvent sembler trop érudits, trop développés par rapport à l'histoire mais cette volonté de jouer à l'équilibriste avec plusieurs thématiques afin de donner de la profondeur au récit et de répondre à sa problématique de la finitude et de la renaissance, est contrebalancée par le talent de la narration de l'auteur ainsi que sa plume fluide. Ces digressions, si elles adoptent parfois un ton scolaire, permettent cependant de faire des pauses bienvenues dans le déroulé de l'histoire qui, seule, aurait manqué de relief.

« Faire disparaitre la structure éphémère d'un corps suit toujours le même processus inexorable de décomposition brutale qui engage la vie de milliers de microorganismes, d'insectes et de charognards, bénéficiant de cette masse de chair fraiche. Unique consolation d'une vie qui revient à la vie, pourtant crainte par les adeptes de la crémation qui y voient une violation ultime de leur être. Mais tout est déjà là, prêt à être activé dès l'arrêt du coeur. Rien de plus naturel donc que ce processus cyclique qui se met en ordre de marche sans nous prévenir, en silence ».

J'ai pu voir des critiques virulentes sur les clichés véhiculés par ce livre, sur les nombreuses thématiques juste survolées, sur les scènes de sexe trop suggestives et d'un autre temps, je n'ai pas du tout ressenti pour ma part ces reproches. J'ai vu et ressenti les liens que l'auteur voulait établir entre notre condition, perpétuellement mortelle, et ces civilisations cycliques. Les thématiques abordées sont loin d'être survolées (mon bémol porte au contraire sur une érudition trop forte) et les scènes de sexe peu nombreuses et secondaires.

Je referme ce livre en ayant le sentiment d'avoir passé un bon moment de lecture, un moment de lecture différent de ce que j'ai l'habitude de lire, d'avoir été touchée par les personnages de ce livre mais aussi par cet auteur dont je me promets de suivre les livres à venir. Un grand merci à Babélio et aux Editions du Lointain pour l'envoi de ce roman inclassable.
Commenter  J’apprécie          8319



Ont apprécié cette critique (80)voir plus




{* *}