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Critique de maevedefrance


Un petit livre que vous pouvez glisser dans votre poche. Petit par le format et le nombre de pages (moins de 100 pages) mais ô combien instructif, poignant et non dépourvu d'humour par instants. Mes mots ne seront sans doute pas assez juste, mais c'est souvent ainsi quand on lit d'excellents livres.
Camille Ammoun embarque le lecteur a travers les rues de Beyrouth porteuse d'histoire. "Dans les parfums nouveaux du maïs grillé et des narguilés resurgis du Beyrouth ancien, je me souviens de ce Beyrouth conté que je n'ai pas connu. Ce Beyrouth-centre intra-muros, habité sans discontinuer depuis des millénaires, brutalement déserté par ses habitants dès le début des combats de 1975, en grande partie rasé par son entreprise de reconstruction de 1990, est aujourd'hui réinvesti par une population revendicatrice, urbaine et ludique. Ce jour-là, un dimanche, les gens envahissent à nouveau les places, à la fois sidérés par les pouvoirs qu'ils se sont pacifiquement arrogés, et inquiets d'un potentielle perte de vitesse du mouvement populaire spontané initié un mois plus tôt par l'annonce d'une taxe sur la messagerie instantannée WhatsApp. Ce jour-là, le 31e jour d'une révolution si urgente qu'elle mesure son temps en jours, tous les espoirs sont enfin permis, mais les pires cauchemars sont encore possibles." Nous sommes le 17 novembre 2019
Nous suivons notre guide du rond-point de Daoura jusqu'au Grand Sérail. Camille nous raconte l'étalement urbain sauvage, résultat d'une guerre civile de 15 ans, qui a scindé la ville en deux, les contreforts du Mont Liban (le Mythe ABSOLU aux yeux de n'importe quel Occidental, non ?) bouffés par des giclées de béton sur 20 kms puisque Beyrouth s'est vidé de son centre, le rocher de Nahr el-Kalb, rocher mythologique s'il en est, percé par un double tunnel autoroutier...Camille nous raconte les quartiers bigarrés où l'on parle amharique, cingalais et tagalog une sorte d'arabe créole, la ville arménienne de Bourj Hammoud, le crocodile de Beyrouth, l'ancienne gare ferroviaire de Beyrouth, "souvenir de temps qui semblent aujourd'hui immémoriaux". "A l'image de son réseau de chemins de fer, l'Etat libanais, en s'est jamais remis de la guerre civile de 1975, et n'existe plus aujourd'hui que pour alimenter une administration parasite". Camille Ammoun raconte la corruption, 'fine, intelligente, ingénieuse, géniale" qui fait croire au citoyen libanais qu'on ne peut se passer d'elle dans ce fonctionnement systémique. Sauf que, rien n'est éternel. En octobre 2019, les Libanais, toutes confessions et tendances politiques ou classes sociales confondues descendent dans la rue pour dénoncer cette mafia.
L'auteur vous donne à lire les slogans, gravés sur les murs ou hurlés dans la rue. C'est savoureux, c'est drôle, c'est sérieux, c'est burlesque, parfois enfantin, c'est provocateur, c'est féministe, c'est juste génial :
"EAT THE RICH" (...) YUMMY" à côté de quelques boutiques de luxe. "FREE YOUR PUSSY". "NOTRE REVOLUTION EST UNE FEMME". "NOTRE REVOLUTION EST FEMINISTE. Criminaliser le viol conjugal. C'EST UNE REVOLUTION CONTRE LE HARCELEMENT/C'EST UNE REVOLUTION CONTRE LE VIOL." "PD N'EST PAS UNE INSULTE" "PUTE N'EST PAS UNE INSULTE". "L'INSULTE EST UN DROIT."

C'est ainsi qu'on apprend qu'au Liban, les droits de chacun sont différents selon leur confession. Vous imaginez le bordel ? Moi, j'ai du mal. Ca pose quelques menus problèmes....
"La place rassemble des gens qui ne se seraient jamais rencontrés autrement, qui n'auraient jamais échangé dans cette société libanaise trop, et depuis trop longtemps compartimentée."
Cette révolution est festive et pacifique. Pendant ce temps, le pouvoir brandit le spectre de la violence de 1975. Facile. La facilité des nazes et des faibles : faire peur.
Camille Ammoun en profite pour vous rappeler un des scandales nationaux : il y a l'électricité, j'en ai parlé avec le livre de Charif Madjalani, mais il y aussi les ordures (moi, ça me rappelle la même chose, mais en Corse, qui est aussi malheureusement une forme de mafia, à croire que la mafia et les ordures ne font qu'un ! :) ) : "Dix ans après le Printemps inachevé de 2005, l'échec du magma oligarchique au pouvoir se matérialise physiquement dans les rues à travers l'apparition de monticules de détritus dans tout le pays. le 15 juillet 2015, le principal site d'enfouissement du pays est fermé. du jour au lendemain, les poubelles débordent, les sacs suintent. Une longue crise s'ensuit où la ville et les montagnes qui l'entourent deviennent d'immenses vidoirs à ciel ouvert. (...) le mouvement VOUS PUEZ est né."
On n'aurait jamais imaginé que la révolution libanaise allait être brusquement interrompue au printemps. A cause d'un...virus ! "Ah qu'il est pratique le confinement pour les politiques ! Plus besoin de brandir les épouvantails galvaudés de la guerre civile, du complot international, de l'ennemi intérieur ou de la cinquième colonne pour terroriser les gens et vider les rues. Il est tellement plus facile à gouverner, ce peuple, quand il est enfermé chez-lui, en proie à la peur ancestrale et collective de la maladie et de la mort." On en a chié, en France. Mais dites-vous que le Liban c'est trois mille fois pire. Plus de feuilles, plus de bouffe ou presque (même l'armée est rationné en viande), plus d'électricité, plus de mazout pour alimenter les générateurs, rationnement d'Internet. "L'épargne d'une vie volatilisée."
"Pour son centenaire, le Grand Liban s'offre un effondrement à la mesure de son message au monde."
En postface de son ouvrage, Camille Ammoun nous parle du fameux 4 août 2020 18h07. Avec une précision pointue sur la violence de l'explosion et ses conséquences :
"L'équivalent TNT d'un dixième de la bombe atomique larguée sur Hiroshima le 6 août 1945 souffle la ville de Beyrouth. En quelques secondes, il ne reste plus rien. (...) La ville entière est à terre. Impossible à secourir, elle est paralysée, faillie. (...) Cette déflagration, l'une des plus fortes explosions non-nucléaires de l'Histoire récente, en plus d'avoir soufflé la capitale, a aussi totalement détruit des infrastructures vitales déjà sous pression : quatre grands hôpitaux, le port, le silo à grain...."
Un livre fort, très facile à lire qui fait honneur au peuple libanais et dénonce avec force les dizaines d'années d'incuries en tout genre et de banditisme de haut vol de la parte de l'oligarchie. Magistral !



Lien : http://milleetunelecturesdem..
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