Premier baiser et autres complications

Mercredi 25 mai

Découverte scientifique du jour : on peut beaucoup apprendre des grenouilles gladiateurs. En quête de la grenouille de sa vie, la femelle gambade de mâle en mâle, flanquant à chacun une bonne raclée. Ceux qui tombent perdent la partie. À la fin, elle prend celui qui reste parce que c’est lui qui est capable d’encaisser le maximum. Hmmm, je dois dire que ça ne me déplaît pas. Mais c’est probablement interdit par le règlement de l’école…
7 h 20. Je suis arrivée un peu plus tôt à l’école ce matin car à partir de maintenant, j’utilise la salle de classe comme lieu de parade. Uniquement à des fins de recherche, bien entendu. Mon expérience a pour objectif de découvrir si les règles du règne animal valent aussi pour les humains. Je porte des vêtements discrets et monochromes, je suis assise à ma place et j’ai l’air de me concentrer sur ce que j’écris. Mais mes yeux perçants de chercheuse rusée comme la renarde se promènent partout.
En face, un groupe de garçons. Benny, Fabi, Tom. Ils sont très occupés à régler son compte à un paquet de gaufres au chocolat en mâchant bruyamment. On ne peut pas considérer ça comme une parade nuptiale, car ces jeunes humains mâles ne partagent pas leur nourriture avec la seule femelle présente (moi).
Si, attention, il se passe quelque chose. Ils gloussent et ricanent. Ça pourrait être les premiers cris d’appel. Ils tour­nent ostensiblement le dos à la femelle. Ça caquette, ça bat des ailes, ça gratte le sol de ses griffes.
Qu’est-ce que c’est que ça ? Ils plient en bande chaque papier d’emballage doré des gaufres… et se le fourrent dans la bouche. Quel curieux rite tribal ! Est-ce que la science a déjà décrit ce phénomène ?
Les visages détournés, les jeunes humains se consacrent à leur appareil masticateur. Attention, voilà qu’ils se redres­sent, qu’ils se retournent et font de larges sourires à la femelle, qui feint le désintéressement le plus total.
Hmppffrrr. Leurs dents… elles sont dorées.
Hihi. La femelle glousse.
Voilà qu’ils se lancent dans la course au plus grand sourire.
OK. Considéré objectivement, ils ont l’air plutôt débiles. Mais les coqs en parade nuptiale aussi. Ce qui est certain, c’est qu’ils souhaitent attirer mon attention.
Pari réussi ! Je suis la reine de la parade !
Mais euh, que doit faire la femelle à ce moment-là ? Benny est avec eux. Est-ce qu’il faut que je cède maintenant ?
Hum, non, qu’il fasse encore un peu d’efforts. Pour l’instant, je me contente de lui sourire en guise de récompense, et je continue à écrire. Voyons voir ce qu’il va faire.