Dictionnaire de Gaulle

Sa fière exaltation de la souveraineté nationale et de la francophonie, la glorification de la grandeur de la France font mouche auprès de ceux qui considèrent celle-ci comme leur seconde patrie. A cet égard, l'accentuation de la crise communautaire en Belgique au fil des années 1960 conduit à l'encouragement de la tendance centrifuge de certains milieux wallons. A Bruxelles, la crainte est grande d'entendre un jour le Général répéter son discours québécois et s'écrier, à Liège cette fois : "Vive la Wallonie libre !" (Michel Dumoulin, "Belgique".)

Cette "idée" et cet amour de la France sont forts quoique vagues parce que - c'est encore lui qui le dit - ils lui sont naturels, pour lui avoir été inculqués par deux parents à la personnalité forte, à la fois aimés et respectés. Ils étaient l'un et l'autre royalistes et catholiques, le père plutôt passionné d'histoire politique et la mère de principes chrétiens. Les deux étaient en vérité de convictions à la fois politique et religieuse, mais il plaît à Charles de Gaulle, avec cette tournure d'esprit systématique que nous retrouverons souvent, de répartir ainsi les caractères et les rôles selon les sexes.
Cet amour de la France enraciné dans son intimité originelle, il l'a gardé en sachant modifier ses applications concrètes, et c'est toute l'histoire de sa vie et de son rôle historique. Il a cessé d'être royaliste, cessé d'être antiallemand, cessé d'être conquérant d'espaces coloniaux, mais sans cesser, dans son esprit, d'être inspiré par la France et la francité. Pourquoi, par exemple, crier "Vive le Québec libre" sinon parce que les "Canadiens français" sont nos lointains compatriotes ? (Maurice Agulhon, "Idée de la France".)

Son inclination à investir ses émotions au plus haut niveau apparaît clairement dans son rapport à "la France éternelle", objet d'un amour mystique. Comme la Vierge Marie chez Bernard de Clairvaux, comme le Christ en croix chez Thérèse d'Avila, la France, pour de Gaulle, est un être spirituel véritable qui appelle un amour passionnément sublimé, le seul qui vaille vraiment les tourments du dévouement.
Ces rêves hors normes, ces passions éthérées mais ardentes ne sont pas des émotions qu'on partage facilement. Le risque est trop grand de susciter l'incompréhension ou, plus cruellement, le sourire. Mais quand les circonstances donneront quelque crédit à une ambition aussi démesurée, c'est alors, et alors seulement, qu'il pourra réduire les persifleurs au silence. (Philippe Braud, "Style émotionnel".)