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Critique de Woland


Texte établi et traduit par Jean Dufournet & Andrée Méline

Du Renart de mes livres enfantins de lecture, j'avais conservé le souvenir d'un personnage extrêmement taquin mais somme toute sympathique alors qu'Ysengrin, son compère, était à la fois fort peu gâté intellectuellement parlant et beaucoup plus désagréable. de cette lecture intégrale, dans un texte traduit mais complet, mon point de vue sur l'un des duos les plus célèbres de notre littérature en revient plus nuancé.

Non que l'on puisse contester au rusé goupil et "trompeur universel" son statut de personnage principal. Seulement, il tient bien plus de l'anti-héros que du héros et, à y regarder de près, présente un profil qui n'est pas sans rappeler celui du parfait psychopathe, surtout si l'on veut bien considérer que Renart (et tous les animaux mis en scène dans son "Roman") monte à cheval, est vassal et chevalier, part en guerre, fait fortifier son château de Malpertuis ... bref, agit comme le ferait un homme de noble naissance.

Sa motivation première (la faim ne lui sert que d'alibi), c'est le besoin de nuire à autrui et même si Ysengrin joue souvent le rôle de la victime, Renart n'est pas regardant sur la question : tout lui est bon, sauf, bien sûr, les membres de sa famille, parmi lesquels il faut compter Grimbert, le blaireau. Si encore il se contentait de faire tourner les autres en bourriques en les rendant ridicules ! Mais non, il attire le chat Tybert dans un collet, occit Tardif le limaçon, pousse un vilain à tuer Brun l'ours, frappe les fils d'Ysengrin et leur urine dessus, viole et sodomise Hersent, l'épouse du loup, et enfin, non content de cela, s'arrange pour "tonsurer" son compère à grand renfort d'eau bouillante et pour que le malheureux, convaincu d'aller pêcher dans un lac gelé, y perde la queue. Et comme si cela ne suffisait pas, dans l'un des récits, après avoir attiré Ysengrin chez un vilain, il l'y enferme, le condamnant à défendre si chèrement sa peau qu'il y perd cette partie de l'anatomie à laquelle tiennent tant les individus de sexe mâle que, en tous cas chez la gent humaine, certains la confondent avec leur cerveau. ;o)

Voleur parfois par nécessité (il faut bien se nourrir et nourrir sa famille), trompeur par plaisir, incorrigible par une volonté bien affirmée, Renart blesse, tranche, viole, mutile, tue et fait tuer comme pour s'amuser, par jeu. Il donne bien souvent l'impression de se trouver, pour une raison mal définie, seul contre le monde entier mais c'est une situation qui lui plaît. Courageux - c'est une qualité qu'on ne peut pas lui retirer - voire téméraire, il affronte cet ennemi protéiforme avec hargne, intelligence et désinvolture. Car, du psychopathe-type, Renart possède l'esprit retors et prévoyant et, si d'aventure l'on en venait à créer une version animalière du "Silence des Agneaux", le rusé goupil serait parfaitement à même d'y reprendre le rôle du Dr Lecter. ;o)

Selon l'édition que je possède, il n'y a guère que dans les toutes dernières branches que, de temps à autre (et une fois pour son malheur personnel), Renart se montre accessible à la pitié. Autour de lui, rares sont ceux qui tirent avec bonheur leur épingle du jeu : Brun l'ours, énorme et déterminé, dont le goupil aura tout de même la peau, Tybert, le chat presque aussi rusé et encore plus gourmand que Renart, et bien sûr Ysengrin le loup, tantôt représenté comme un parfait imbécile, imbu de sa personne et plutôt brutal, tantôt comme une victime valeureuse de la haine de Renart. le couple royal, Noble le lion et son épouse, dame Fière, avec leur versatilité et leur recherche des plaisirs, représente à merveille les gouvernants en général mais, au bout du compte, ne retient guère la sympathie.

Il faut en effet signaler que "Le Roman de Renart" se double d'une critique sociale. A vrai dire, elle ne fait qu'effleurer les souverains et l'ordre monarchique. En revanche, elle pointe très violemment du doigt les paysans et les vilains, chargeant ceux-ci de défauts aussi peu aimables que la ladrerie, la cruauté inutile envers le plus faible, le mensonge et le mépris de la parole donnée. Les femmes également en prennent pour leur grade. L'une des branches - la VII ou la VIII - s'attache à les représenter comme des créatures impures (je vous passe les détails mais vous pouvez les imaginer, et dans la langue la plus crue) et, de façon générale, l'ensemble les montre soit comme les servantes de leurs maris sur tous les plans, soit comme des créatures tout juste bonnes à satisfaire les désirs du mâle. Avec la femme, tout n'est que sexe - déjà : la preuve, c'est par le sexe que l'épouse du paysan avare tient son mari ...

Mention spéciale toutefois à dame Hersent, au caractère rude mais bien trempé ainsi qu'à dame Hermeline, l'épouse de Renart envers laquelle, à vrai dire, celui-ci semble éprouver des sentiments qui dépassent de loin le simple amour charnel.

Mon seul regret : l'insuffisance de mes connaissances en ancien français (ou plutôt en "roman", si j'ai bien compris), qui m'empêche de lire ces textes à haute voix et dans leur version originale. ;o)
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