AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Apoapo


Ce personnage au visage rond d'ébauche immuable auquel tout garçon pourrait s'identifier, que Michel Serres "voit comme un classique du XXe siècle, un monument 'inusable' " n'a-t-il donc jamais changé en cinquante ans ? Est-il véritablement un modèle plutôt fruste dans sa morale manichéenne et passablement fasciste ? Est-il un héros seul avec Milou (bien qu'accompagné d'un groupuscule de personnages secondaires dont certains récurrents) sans âge, sans famille, sans origine, sans sexualité, sans nuance ni doute ni interrogation ? Sa tartuferie idéologique n'est-elle pas du même acabit que celle de son auteur, qui n'eut de cesse qu'il polisse son ouvrage maintes et maintes fois, dans les éditions successives, de tout ce qu'il avait de plus colonialiste, raciste, antisémite, antilibéral, catho-réac ?
Et si, au lieu de placer les aventures dans le contexte historique de leur parution, on utilisait la "méthode synchronique" en partant de l'hypothèse qu'il existe une "évolution interne d'un univers fictif qui est aussi cohérent et clos sur lui-même que le monde De Balzac." (p. 11) ?
C'est à cet exercice que nous convie Apostolidès, en mobilisant l'outillage herméneutique de l'ensemble des sciences humaines, de la politologie à la linguistique structuraliste, de la sémantique à la cinématographie, mais avec une prépondérance fondamentale de l'apport psychanalytique. de cette manière, et surtout en couplant le héros avec Milou, puis avec Haddock, enfin avec l'"univers Lampion", il construit une structure cohérente d'évolution, d'album en album (chacun l'occupant approximativement sur un chapitre), qui fournit des éléments de réponse à tous ces "manques" que l'on a pu dénoncer au départ. Manques et manquements, quand ce ne sont pas des actes manqués.
Du paradigme freudien, on retrouve principalement des concepts tels la gémellité, la quête du Père, la peur de la castration, la Mauvaise Mère, les mythes de l'enfance (quête des origines) et surtout la dichotomie entre les valeurs du bâtard (incarné surtout par le capitaine Haddock) et les valeurs de l'enfant trouvé (Tintin et ensuite d'autres aussi). le monstre possède aussi un rôle complexe, comme les bijoux, le monde animal, etc. Les analyses les plus spectaculaires reposent sur les quelques scènes oniriques qui se trouvent dans les différents albums et qui sont les seules à être reproduites graphiquement dans le texte.
Mais la mobilisation d'un appareil critique aussi riche peut facilement laisser deviner le foisonnement, la rigueur et la profondeur de ces quelques 300 pages d'analyse littéraire au sens le plus large. Souvent des corpus littéraires ont été passés au tamis de la psychanalyse ; parfois, et à mon sens assez abusivement, leurs auteurs aussi. Mais rarement j'ai lu des résultats aussi probants et, compte tenu aussi de ma passion pour le corpus en question, aussi jouissifs.

La première phrase de la conclusion me semble être opportune à clore mon propos, pour sa pertinence :
"Les aventures de Tintin racontent, sous la forme d'un mythe, l'histoire d'une éducation qui est à la fois politique et psychologique" (p. 291)
Commenter  J’apprécie          21



Ont apprécié cette critique (1)voir plus




{* *}