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Critique de Marie987654321


Après avoir analysé les conséquences culturelles de la globalisation dans un ouvrage devenu référence, Arjun Appadurai, anthropologue indien, poursuit sa réflexion dans un petit essai centré sur les relations entre la globalisation et les nouvelles formes de colère et de violence aujourd'hui répandues. Selon ses termes, "la terreur est la face cauchemardesque de la mondialisation". L'ouvrage a été écrit après le 11 septembre mais bien avant les attentats de la marque "DAECH". Ceci étant le temps et les exactions de ces derniers ne rendent pas le propos décalé ou obsolète.

Il s'intéresse à deux types de situations de violence paroxystique : les guerres du Rwanda et de l'ex Yougoslavie et les attentats terroristes, pour essayer ce comprendre ce qui les a rendues possible et le rapport que cette violence entretient avec la mondialisation.

Ce que j'en ai retenu :

Selon l'auteur, la globalisation, avec ses échanges de biens, de capitaux et ses mouvements de population produit un accroissement de l'incertitude sociale et des frictions de "l'incomplétude" au sein des populations des États nations. le fondement de l'État nation, qu'il s'agisse de droit du sol aussi bien que du droit du sang, implique l'existence d'un ethos national, d'un génie ethnique. Or, les migrations font douter du "nous" : combien y a t'il de nous et combien y a t'il d'eux? Les fantasmes de pureté se trouvent ravivés. L'incertitude sociale engendrée par la globalisation peut faire craindre que le minorité d'hier devient la majorité de demain, et peut permettre de franchir la ligne qui sépare l'angoisse majoritaire de la prédation et du génocide.

L'auteur décrit l'angoisse d'incomplétude qui anime les majorités qui ne sont pas des "tout" car même une minorité très réduite est le signe d'une incomplétude, de la différence qu'il y a entre être une totalité unifiée et n'être qu'une majorité. C'est justement la faiblesse de l'écart entre le statut majoritaire et la pureté ethnique nationale complète qui peut justement être à l'origine de la fureur extrême à l'égard d'"autres" ethniques.

Il développe le concept d'"identités prédatrices". La minorité est le symptôme de la différence qu'on veut faire disparaitre pour retrouver la pureté de la Nation. La violence n'est pas le produit d'identités antagoniques mais une façon de produire l'illusion d'identités fixées pour dissiper les incertitudes.

Arjun Appadurai développe également l'opposition entre systèmes cellulaires et systèmes vertébrés. Les systèmes vertébrés sont les États-nations classiques. Les systèmes cellulaires existent grâce à la mondialisation et mettent en péril les structures des systèmes vertébrés. Ainsi, les migrations globales à travers les frontières nationales attaquent constamment le ciment qui lient les personnes aux idéologies du sol et du territoire. Les majorités craignent de voir les minorités commencer à se comprendre sur un mode cellulaire comme des « majorités externes déguisées » plutôt que sur un mode vertébré les contraignant à l'impuissance et à l'exclusion à l'intérieur d'un État (p. 162), et s'engagent dans des stratégies d'élimination des différences ouvrant la porte à des formes d'identité foncièrement prédatrices.

Ainsi, les musulmans d'Europe, peuvent être perçue comme une minorité offensée appartenant à une "terrifiante majorité ", celle des musulmans du monde.

L'auteur met en évidence l'ambivalence de la notion de minorité dans l'histoire démocratique occidentale. Il s'agit au départ d'une minorité de procédure dans le cadre d'un désaccord d'opinion. Les minorités sociales et culturelles sont des minorités de substance devenues permanentes. Les petits nombres perturbent la pensée sociale libérale car elles sont associées à la confiscation par les élites et l'oligarchie ou au spectre de la conspiration, de la cellule, de l'espion, du traitre ; à la possibilité de ce que l'on appelle les intérêts particuliers contraires à l'intérêt général que les démocraties libérales estiment mieux servi quand les individus délibèrent en tant que tels avec tous les autres individus par le biais de mécanismes lisibles de représentation.

Il s'agit d'une réflexion, passionnante, plus que d'une analyse densément argumentée, mais qui donne une clé de lecture particulièrement riche. Elle n'est pas totalement désespérée car l'auteur évoque aussi la constitution de réseaux de militants et d'une société civile transnationale porteuse de démocratie. Utopie ou nouveau monde possible ?
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