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Critique de 974JerLab34


"La mémoire délavée" est un magnifique album de famille proposée par Natacha Appanah dont les figures principales sont le grand-père et la grand-mère de l'auteure. Elle plonge dans ses souvenirs et ce travail intime qui débute par des réminiscences se transforme peu à peu en une évocation de plus en plus précise d'une jeunesse mauricienne avec une double éducation, celle moderne de ses parents et celle traditionnelle de ses grands-parents. Ce « roman » familial sera l'occasion pour quelques lecteurs de découvrir un point important mais méconnu de l'histoire coloniale, celui de l'engagisme. Au milieu du XIX° siècle, lorsque l'esclavage est progressivement aboli, l'économie coloniale, notamment l'agriculture et plus particulièrement la canne qui produit le sucre, le carburant de l'économie, doit compenser la baisse drastique de la main-d'oeuvre. Les décideurs d'alors mettent en place des contrats de travail qui sont proposés à des ouvriers des pays pauvres. La péninsule Indienne qui est déjà un réservoir démographique important fournira 85% de ce « prolétariat » à qui l'on fera miroiter des opportunités d'enrichissement. Les capitalistes contemporains dénoncés pour leur action prédatrice peuvent s'enorgueillir de puiser leur ADN dans cette exploitation éhontée de la misère. La communauté historienne est unanime à considérer que les conditions de vie de ces engagés et de leurs familles n'étaient guère plus enviables que celles des esclaves, à une différence notable : le statut d'homme libre. L'engagisme concerna 1 million 500 personnes dont un tiers vers Maurice. 120 000 travailleurs partirent aussi vers la Réunion et quelques dizaines de milliers vers la Guadeloupe et la Martinique. L'objet de ce livre n'est pourtant pas d'engager un débat mémoriel sur la responsabilité des empires et de leurs descendants. Natacha Appanah s'interroge sur les héritages culturels au sens large, sur les persistances de comportements liés à ce statut d'engagé, sur les conditions de ce déracinement sur les différentes générations. Qu'est-ce que l'on perpétue ? Qu'est-ce que l'on transforme ? Les réflexions de l'auteure, probablement étayées par une importante recherche documentaire ne bascule jamais dans la thèse historique mais s'efforce de maintenir le plus vivant possible le récit de cette transmission familiale. Les passages émouvants se succèdent mais l'espièglerie se niche parfois dans certaines anecdotes. L'écriture cristalline de ce court ouvrage ainsi que l'apport judicieux de photos de famille ou de documents aidant à la compréhension de cet essai, contribuent à l'émotion ressentie. Dans le débat actuel sur l'immigration, ce livre est un élément supplémentaire qui devrait permettre d'éviter les erreurs du passé. La circulation des populations qui cherchent ailleurs des conditions de vie meilleures n'est pas un phénomène contemporain, elle est inévitable et surtout légitime. La vraie question n'est pas de savoir si nous devons ou non accueillir ces femmes et ses hommes mais comment le faire. La mémoire délavée est un vibrant hommage à ces migrants d'hier. Parmi ceux d'aujourd'hui se trouvent sans doute des grands-parents des Natacha Appanah du XXIIème siècle.
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