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Critique de oiseaulire


"Les Beaux Quartiers" est le deuxième roman du cycle "Le Monde réel" qui a débuté par "Les Cloches de Bâle".
Aragon a écrit cette oeuvre à la veille de la deuxième guerre mondiale et y a dépeint des pans entiers de la société française de 1913 : on ne peut pas ne pas penser au parallélisme des circonstances.
Nous nous trouvons :
- D’abord en province dans la ville fictive de Sérianne au milieu de la bourgeoisie locale et de ses coteries politiques. Sont évoqués et analysés les moeurs, le fossé qui sépare la famille des affaires, les hommes des femmes, les riches des ouvriers, entassés dans des faubourgs sordides. On assiste aux batailles électorales, aux débats sur le projet de loi des trois ans «de service militaire», à la naissance de la taylorisation dans les usines et aux résistances prolétaires, à la menace de la concurrence des trusts sur la fabrique et le commerce traditionnels. Sont saisis les amours ancillaires et leurs tristes fins, les rêves de jeunesse, l’éducation, les virées au bordel, à la fois soupape de sécurité de la cocotte-minute masculine et institution prophylactique et contraceptive à l’usage des épouses honnêtes et confites en dévotion ; à tel point que la religion semble être pour elles le pendant de la débauche crasseuse des maris. On assiste à quelques fêtes, à la liesse patriotique, à des bagarres après boire, à la répression d’un soulèvement populaire et à bien d’autres choses encore qui font l’étoffe du quotidien, endroit pour les possédants, envers pour les «perdants».

- Puis nous «montons» à Paris avec les deux jeunes fils du docteur Barbentame, maire radical modéré de Sérianne. Edmond y fait des études de médecine, son cadet Armand y a fui son pensionnat d’Aix et l’autorité paternelle.
Avec eux en un impressionnant tourbillon, nous découvrons la vie mondaine et demi-mondaine de la capitale, la bourgeoisie d’argent, la misère crasse des laissés pour compte, le monde des hôpitaux et de la rue, la prostitution, les maisons de jeux, le chantage, les ors, la boue, la police corrompue et celle qui ne l’est pas. Les grands débats y ont une place plus grande encore qu’en province, l’imminence de la guerre y est encore plus flagrante, plus oppressante, les mouvements de grève y sont matés avec davantage de ruse et de violence.

La fresque sociale et politique n’y est pas développée au détriment des personnages qu’Aragon prend le temps de faire vivre, espérer, souffrir. L’étau qui les broie et souvent les brise ne cesse d’actionner ses mâchoires infernales : nécessités économiques, politiques, amoureuses et, pour les hommes, omniprésentes contraintes de l’amour-propre qui les taraude et les étouffe comme des vêtements trop étroits et des chaussures trop petites.

Cette oeuvre, classique dans sa forme, alterne un style fort, truculent, à l’imprécision suggestive quand il le faut et une prose poétique au charme puissant, au balancement estropié et allusif cher à Aragon. Elle est le couronnement magistral du 19 ème siècle réaliste par le 20 ème siècle bouillonnant de créativité linguistique : il y a du Zola en lui lorsqu’il dépeint les Halles et du Balzac lorsqu’il enserre ses personnages dans la noirceur des complots et du chantage. On pense à Proust aussi dans son déploiement fantastique, mais on pense surtout à Aragon, qu’on le découvre ou qu’on le relise.
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