AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Slava


Chrémyle un citoyen athénien et son esclave Carion se baladaient tranquillement quand ils rencontrent un étrange aveugle errant. L'inconnu révèle son nom qui éclaire vite qu'il n'est pas ordinaire : Ploutos, le dieu de la richesse et de l'abondance. Il a été fait aveugle par Zeus craignant qu'il puisse distribuer tous ses faveurs à toute l'humanité, créant un gros déséquilibre dans le cosmos. Que cela ne tienne, Chrémyle et Carion altruistes et compatissant sur son sort mais aussi avide d'argent le convainquent d'aller au sanctuaire d'Eleusis pour se soigner. Miracle, Ploutos retrouve la vue ! L'univers est bouleversé puisque tout le monde est riche et qu'il n'y a plus de pauvreté. Mais les ennuis arrivent avec de tas de zizanies et les dieux se fâchent...
Ploutos est un dieu peu connu de la mythologie grecque. Fils de Déméter et d'Iasion un mortel frère de Dardanos ancêtre de la lignée troyenne (donc de Priam, d'Hécube, Hector et compagnie) qui eut l'offense de s'unir à la déité suru ne jachère trois fois labourée et qui fut puni en étant foudroyé par Zeus, ce petit dieu aveugle symbolise la fortune aussi bien au sens matériel que symbolique (la Fortune désignant aussi le destin et les coups du sort) tombant aussi bien chez les bons que chez les méchants. Il est ici le centre de cette pièce du satirique Aristophane considérée comme la dernière qu'il composa et représenta avant sa mort, une comédie grecque dont le ton et l'irrévérence est bien plus caustique que toutes les précédentes. Car Aristophane fustige un mal qui est loin de se cantonner à l'époque : le gout de l'argent tout simplement. Et ce qui rend cette pièce beaucoup plus incisive, mordante et piquante dans notre monde actuel.
Si tôt que notre dieu est guéri et peur ainsi distribuer ses dons à tout le monde, c'est un gigantesque "bordel" (excusez-moi du mot outrancier) qui se met en place, reflétant le lien de la société accrue avec l'économie . Les produits de luxe ne sont plus fabriqués, il n'y a plus de travailleurs, les gigolos n'ont plus besoin d'aller voir de riches dames pour leurs sous et les prêtres jadis cossus sont ruinés et envisagent de se reconvertir... Même les dieux dépendant de ces richesses finissent par être affamés tant leurs fidèles ne pensent plus à la spiritualité et aux sacrifices et se consacrent uniquement à leurs biens. Il y a là aussi une subtile critique politique lié au contexte historique avec le sycophante ruiné : Aristophane vitupère les sycophantes, ceux qui dénonçaient les citoyens riches pour s'emparer de leurs biens puisque les délateurs professionnels étaient toujours récompensés quand bien même la victime était innocente mais aussi la pensée de Socrate sur la réduction de religiosité dans la sphère publique pour les biens matériels. Tout le monde veut être riche mais tout le monde l'était, il n'y a plus de raison de l'être et le désordre s'accomplit tant les ordres et barrières sociales et morales ne sont plus respectées : un procédé qu'on retrouvera par la suite, quoique différemment, dans le film Bruce Tout-Puissant avec le talentueux Jim Carrey où son personnage ayant acquis les pouvoirs de Dieu réalise le voeu universel de l'humanité qu'est de gagner au loto mais la violence est alors de mise.
Cependant, ce qui fait le sel de la pièce, ce n'est pas seulement comme toujours le style croquant d'un Aristophane qui vieillit cependant : c'est tout le propos toujours actuel de la pièce, sur notre amour envers l'argent qui peut souvent prendre place dans notre coeur. La morale de la fin le dit surtout : ce n'est pas par la richesse qu'on devient un homme bon et honnête mais par l'humilité. On peut être quelqu'un de bon sans même dépendre de l'argent. L'argent compte certes comme du bonheur mais il ne doit pas devenir le seul contributeur de ce bonheur. L'argent ne fait pas le bonheur et la pièce le démontre. C'est aussi une invective aux puissants se pensant libres et sans devoir de répondre aux intérêts de leurs citoyens parce qu'ils sont riches. Dans notre époque capitaliste avec patrons véreux, bourgeois imbus d'eux-même et les honnêtes gens comme pauvres délaissés par une logique financière cruelle, relire cette pièce conviendrait mieux pour nous rappeler de ne pas considérer l'argent comme notre unique maître mais comme un simple serviteur parmi les autres sur nos désirs et envies.
Commenter  J’apprécie          30



Ont apprécié cette critique (1)voir plus




{* *}