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Critique de Chri


Tandis que le Philosophe s'élève, telle la flèche d'une cathédrale, à la Science de l'Être en tant qu'être …

« … pour les esclaves et les bêtes, au contraire, peu de leurs actions ont rapport au bien commun, et la plupart d'entre elles sont laissées au hazard. »

Nous nous demandons peut-être comment, et jusqu'à quel point, les différentes formes de séparatisme ont partie liée : spécisme, esclavagisme, sexisme, racisme, …

Cette seule question m'a poussé à poursuivre ce livre peu engageant.

BON DIEU !

Il faut se résoudre à entrer dans un monde étourdissant, constitué d'une prolifération d'objets logiques. Ce qu'on nous demande est typiquement un effort d'abstraction. En effet, ces objets logiques ou métaphysiques sont les attributs communs aux êtres étudiés par la physique. Chez Aristote, il y a notamment les causes de types matérielle, formelle, efficiente ou finale.

Nous faisons quotidiennement ce type d'effort : extraire de nos objets familiers des caractéristiques communes, et les considérer séparément. Seulement, la physique d'Aristote n'est pas notre “physique”, même en passant outre les aperçus périmés, qu'il s'agisse de biologie, de médecine ou d'astronomie.

Bref, on parle d'un effort d'abstraction, mais qu'est-ce qui nous force réellement à penser ? Sait-on ce qui force réellement Aristote à penser ? Quel est le problème ?

Il ne se passe rien de transcendant, jusqu'à cette remarque : « s'il y a une infinité de choses communes, il n'y a rien de réellement commun ». C'est ce qui est impensable pour Aristote, car il doit y avoir une réalité substantielle qui ordonne toute la nature. Un Tout ou rien : remarquons le leitmotiv.

Et c'est la forme plutôt que la matière qui peut prétendre à la dignité de substance.

« Il est manifeste que l'artiste, qui applique la forme, fabrique, tout en étant un, plusieurs tables. Il en est de même du mâle par rapport à la femelle : celle-ci est fécondée par un seul accouplement, mais le mâle féconde plusieurs femelles ».

Question de racine, encore : « certains sont appelés Hellènes par la race, et d'autres, Ioniens, parce qu'ils ont, les uns, Hellen, les autres, Ion, comme premier générateur ».

Voici en effet la logique en train de sécréter le caractère séparé de la substance. Car « s'il n'y a pas de premier terme, il n'y a absolument pas de cause. » (leitmotiv du tout ou rien)

« L'état séparé et par soi, ce sont là les caractères que nous désirons trouver ».
L'abstraction pour l'abstraction, ou la séparation pour la séparation, voilà ce qu'on peut appeler un séparatisme.
La logique d'Aristote satisfait à son propre désir. Ce qui, au passage, fait de l'ego l'être parfait, car il a le plus sûrement les caractères séparé et par soi.

Écoutons Hanna Arendt, qui connaît bien la logique aristotélicienne : « La tyrannie du système logique commence avec la soumission de l'esprit à la logique comme processus sans fin, sur lequel l'homme compte pour engendrer ses pensées ».

C'est encore la logique du tout ou rien qui fonde le principe de non-contradiction, lui-même fondateur de la nouvelle science de l'Être en tant qu'être. Car, « ne pas signifier une chose unique, c'est ne rien signifier du tout ».

Un discours contraire « au bon sens » est un « discours interminable, comme celui des esclaves, quand on ne trouve rien de sensé à dire ».
Et bientôt, ce sont les partisans des Idées (platoniciennes) qui se retrouvent dans le même sac : « Quant à dire que les Idées sont des paradigmes et que les autres choses participent d'elles, c'est se payer de mots vides de sens ».

Remarquons ici avec Deleuze comment « il appartient au sens de préjuger de sa propre universalité ».

La logique du tout ou rien, de l'être par soi ou de l'être par accident, de l'être et du non-être, évoque immédiatement le sempiternel débat politique qui s'enflammait déjà entre Platon et les sophistes. Et en fin de compte, cette logique me paraît tourner le dos à la quête de connaissance à laquelle nous devions nous attendre. Lorsque Einstein affirmait que « Dieu ne joue pas aux dés », n'était-il pas en train de prendre sa retraite, par rapport aux développements de la physique quantique ?

Dieu ! Nous y sommes. La substance séparée et par soi, formelle et éternelle, s'est juste personnifiée comme point d'orgue du branle de la logique théologique proposée par Aristote.
Et c'est arrivé à la vitesse d'un court-circuit dans le cerveau. Seul Jim Morrison y serait arrivé plus vite en déclarant juste que « L'extension logique de l'ego, c'est Dieu ».

Maintenant, ce sont les commentateurs qui s'enflamment dans les notes en bas de page : « toutes tentatives d'expliquer l'Univers autrement que comme une simple résultante des forces mécaniques en présence, sont redevables, en quelque manière » à quelques pages de ce livre.

Diable ! Comment faire reposer tant de déterminations sur une tête d'épingle ?
Il est vrai qu'Aristote avançait une telle quantité de propositions random - autant qu'une IA générative - qu'il devenait impossible qu'il n'y ait pas quelques pages vues par la postérité ; mais vues par qui, comment, pourquoi, etc … ?

ET ENSUITE ?

Sommes-nous au bout ? Non, bien sûr, car toujours selon la logique du tout ou rien, Dieu est déjà appelé à mourir. Il faudra plusieurs générations, et les théologiens auront à se palucher les problèmes techniques infinis dont Aristote s'est débarrassés ; tous provenant des oppositions insurmontables, nées de son désir d'un « Être séparé et immobile ». Séparé, immobile, obstiné, son logiciel ne contient pas la capacité de se régénérer.

« Puisque la liaison et la séparation sont dans la pensée, et non dans les choses … nous devons laisser de côté, aussi bien que l'Être par accident, l'Être en tant que vrai »

Aristote a dû se pencher in extremis sur certains problèmes, et aussi nuancer son discours du tout ou rien, en introduisant des voisinages et du « plus ou moins » ; quitte à se rapprocher dangereusement - on s'en réjouit - du relativisme de Protagoras, un certain sophiste.

Ah ces sophistes, ces pousse-au-crime ! Fallait-il qu'ils poussent Aristote à l'absurde ?

Finalement, ce dernier nous laisse avec quelques questions : peut-on « soutenir que tout est accident, et de dire que ce qui constitue essentiellement la quiddité de l'homme, n'existe pas » ?

On a déjà observé, chez Aristote, sa hantise de l'infini : « rien d'infini ne peut exister, ou alors l'infinité n'est pas infinie ». Son monde devait être compris entre un principe Premier (déjà vu), et le Bien comme cause finale.

Cause finale, dans le sens où « nous désirons une chose parce qu'elle nous semble bonne, plutôt qu'elle ne nous semble bonne parce que nous la désirons »

Aristote a pris soin en effet d'éliminer les vues de ceux « qui ont posé l'Amour ou le Désir pour principe des êtres » (comme Hésiode et Parménide)

Or, il est manifeste que les deux sens existent : désir-manque et désir-plénitude.
On peut dire aussi que les choses arrivent par hazard, et que le Bien ou le bénéfice, dans ce sens, n'est qu'une vue a posteriori.

Encore une fois, Aristote a fait le choix d'une certaine vision d'un monde à sens unique, ou plutôt d'un projet fondamental entièrement voué à satisfaire les appétits d'une caste. Mais on ne creusera pas exagérément son déterminisme dans l'histoire de la pensée.
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