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Critique de Clubromanhistorique


Née en 1757 à Cayenne (Guyane), Rose-Gabrielle a perdu sa mère à la naissance. Envoyée à l'âge de 8 ans dans un couvent à Toulouse pour y recevoir une éducation digne d'une jeune fille de bonne famille, c'est avec déchirement qu'elle quitte la Guyane et les siens, surtout Solitude, sa fidèle esclave qui s'est occupée d'elle depuis sa naissance.
Dix ans plus tard, la voici enfin de retour en Guyane, découvrant sa nouvelle famille – son père a eu deux enfants entre-temps –, mais le bonheur est de courte durée : son père a décidé de la marier à Michel-Ange, le frère de sa belle-mère. Certes, c'est un homme aimable, mais il est bien plus âgé qu'elle et peu attirant et, surtout, elle est tombée amoureuse d'Alexandre de Sérigny, un jeune scientifique rencontré lors de sa traversée en mer. D'abord réticente, Rose-Gabrielle finit par accepter ce mariage arrangé, persuadée qu'elle retrouvera un jour Alexandre, qui lui promet de revenir régulièrement en Guyane.
Après son mariage, elle part s'installer dans la propriété de Petit Cayenne, l'exploitation de coton de son mari, où travaillent une soixantaine d'esclaves. Loin de se satisfaire d'une vie paisible d'épouse, elle s'investit dans la gestion du domaine, sous le regard peu amène du régisseur Granval, tandis que son mari se consacre à sa grande passion, l'astronomie, quand il n'est pas dans la caserne de son régiment. de son union avec Michel-Ange, une union pleine de tendresse mais sans amour, naîtront trois filles, Rose-Marie, Alexandrine et Victoire. L'amour, elle le vit dans les bras d'Alexandre chaque fois qu'il revient en Guyane, ainsi qu'il l'avait promis. Et quand il n'est pas là, ils s'échangent de longues lettres dans lesquelles Alexandre la tient informée de la situation en métropole, qui devient au fil des années de plus en plus préoccupante : réunion des États généraux, serment du Jeu de paume, prise de la Bastille, Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, exécution de Louis XVI... Les nouvelles arrivent certes au compte-gouttes en Guyane, mais elles alimentent dangereusement les rumeurs, la colère, la contestation... et conduisent à une première révolte d'esclaves, réprimée dans la violence. Mais l'Histoire est en marche. C'est tout le mode de vie de la colonie qui est alors remis en question ainsi que la propre vie de Rose-Gabrielle, devenue veuve entre-temps : comment va évoluer la colonie ? Rose-Gabrielle pourra-t-elle rester en Guyane ? pourra-t-elle enfin vivre sa passion au grand jour ?

Ce roman mêle parfaitement bien l'histoire de la Guyane et la vie de Rose-Gabrielle. C'est à travers ses yeux que l'on perçoit le quotidien d'une colonie à des milliers de kilomètres de la métropole, la géographie du lieu, la répercussion des événements politiques, la condition féminine au XVIIe siècle... Au lieu de se révolter inutilement, Rose-Gabrielle en prend son parti : elle ne peut pas se marier avec l'homme qu'elle aime ? le système esclavagiste est remis en question ? Eh bien, elle fait avec : plutôt que de lutter en vain contre des éléments qu'elle ne maîtrise pas, elle en joue. Ainsi, tout en vivant sa passion avec Alexandre, elle témoigne de la tendresse pour Michel-Ange et son mariage arrangé débouche sur la naissance de plusieurs enfants. Par ailleurs, depuis la naissance de la colonie, la Guyane fonctionne selon le système esclavagiste et, depuis 1685, y est appliqué le "Code noir", cet ensemble de textes juridiques réglant la vie des esclaves noirs dans les îles françaises, lequel indique notamment que les esclaves sont des "biens meubles"... Ce n'est pas Rose-Gabrielle qui va transformer les choses d'un coup de baguette magique. Non, mais elle est juste et traite ses esclaves le plus correctement possible : elle est attentive à leur santé, elle leur donne des vêtements, elle essaie d'éviter autant que possible les punitions, etc. Malgré la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, il faudra attendre l'année 1794 pour que l'abolition de l'esclavage soit décrétée dans toutes les colonies françaises. Une belle initiative, mais qui ne fut pas sans conséquences : tous ces hommes et toutes ces femmes, subitement libres, qui n'avaient jusqu'alors connu que l'encadrement colonial, se sont retrouvés totalement démunis du jour au lendemain, sans accompagnement pour apprendre à vivre cette nouvelle liberté. Là encore, Rose-Gabrielle fait tout son possible pour aider ses anciens esclaves, leur préparant un contrat de travail, leur versant un salaire, leur octroyant la propriété de leur case… Des émeutes menées par des révolutionnaires attisant la colère des anciens esclaves menacent sa vie ? Eh bien, elle plie bagage et part à Boston avec ses enfants en attendant que la situation s'améliore. C'est une femme réaliste, dure au premier abord, mais elle a compris qu'il vaut mieux, tel le roseau, plier que rompre. C'est surtout une femme patiente, tenace et courageuse, qui entend bien vivre sa vie comme elle l'entend !

À travers la vie de Rose-Gabrielle et de ses proches, c'est toute l'histoire de la Guyane qui est retracée en filigrane depuis le départ des Jésuites jusqu'à la transformation de la Guyane en lieu de déportation d'opposants politiques (Collot d'Herbois, Billaud-Varenne, Pichegru...) et de prêtres réfractaires, sans oublier la calamiteuse expédition de Kourou de 1763 qui donna à la Guyane la réputation "d'enfer vert". En effet, la France avait déjà mis en place la traite négrière en Guyane, mais suite à la guerre de Sept Ans, le ministre Choiseul décida de peupler et de mettre en valeur les terres de cette colonie en poussant des milliers de personnes à s'installer sur ces terres lointaines et pleines de promesses. Las ! L'expédition, dirigée par M. de Turgot, gouverneur de la colonie, M. de Chanvallon, intendant, et M. Brûletot de Préfontaine, commandant, échoue : rien n'a été préparé pour accueillir les milliers de migrants qui arrivent en pleine saison des pluies. Résultat : beaucoup de morts (dysenterie, fièvre jaune, syphilis, paludisme) et les survivants décident en majorité de quitter cette terre maudite. Dans ce roman, Arnaud Privas est l'un de ces hommes, mais, lui, il restera en Guyane grâce à l'aide que lui apporteront des jésuites avant leur départ.

La Guyane, quelle que soit la période, est peu présente dans les romans historiques et c'est bien dommage, car c'est un pays à l'histoire originale, parfois tragique, fruit de ses spécificités (climat, géographie, peuplement…). Ce roman est donc intéressant à ce titre, mais aussi parce que cette histoire est décrite à travers le regard d'une femme, dont l'auteur trace un beau portrait, une femme déterminée et libre, malgré les apparences.

Merci aux Éditions De Borée.
Lien : http://romans-historiques.bl..
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