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Critique de topocl


Danielle Auby amène sa réponse personnelle, à la de nécessité de la commémoration de la guerre mais aussi de la souffrance des soldats, commémoration qui se doit d'être officielle autant qu'intime. Elle mêle dans une poésie pragmatique un tourbillon de destins individuels, reflet du  magma des multitudes et de la chair à canon .

La commémoration officielle, l'Association des Ecrivains Combattants, la rend aux 560 jeunes écrivains en 1924, en publiant en cinq volumes une Anthologie des écrivains morts à la guerre , ouvrage intitulé le hérisson. Une biographie et des textes de chaque écrivain y sont réunis par un parrain.
Puis en 1930 on plante une forêt commémorative.
C'est autour de ces projets qu'est né le livre Bleu horizon.

Danielle Auby, parmi ces 560 jeunes écrivains, en choisit une cinquantaine, dont elle évoque les destins croisés. Une première partie les saisit dans leur enfance, leurs lieux, leurs éducations, parle de leurs familles et de leurs maîtres, de leurs voyages, de leurs espérances, d'une jeune femme qui passe. Ils se croisent et se recroisent, dans la réalité recréée des archives ou dans l'imaginaire de l'auteur, portraits individuels, portrait de la jeunesse d'un début de siècle. Tous des individus, aimants, aimés, portant leur projet d'écriture, un projet que la guerre va interrompre le plus souvent, ou modifier définitivement.

La deuxième partie, c'est la guerre. Les jeunes gens rangent leurs écrits dans leurs cartons, où les emmènent dans leur besace, gardent ou non leurs projets en tête, certains continuent à griffonner. Un à un, les jeunes gens se font prendre par l'horreur, par les blessures, par les gaz, par la mort. Et cette sombre énumération circonstanciée donne une image du chaos, du néant, de l'inéluctable

La troisième partie, c'est l'après. Ils sont beaucoup moins nombreux, ceux qui sont rentrés, meurtris, et on se recentre sur ces quelques uns. Il faut commémorer, rendre hommage, cicatriser, mais aussi essayer de reconstruire :"(...) fermer la douleur, éteindre, et sortir enfin."

Des monuments se dressent, des cimetières  s'organisent, des corps se rapatrient, et le hérisson s'élabore peu à peu, réunissant des témoignages vaguement élitiste sur « ces morts qui en valent la peine », souvent touchants,  mais au goût de Danielle Auby, trop hagiographiques, lisses,  émoussant les différences,  parlant du bel honneur plutôt que de l'horreur. : elle butine, peaufine, corrige, apporte sa note.

« Qui est le dernier mort ? le dernier mort de la guerre a encore, lorsqu'elle prend fin, des mois et des années à vivre. En quelle année se remet-on simplement à mourir de vieillesse ? de sa « belle mort » ? Combien d'années les germes mortels de la guerre continuent-ils à faire leur chemin dans les corps ? Comme les grenades entrées dans la terre et qu'un coup de charrue fait partir. Les gaz, combien de temps leur faut-il pour tuer à petit feu tout l'intérieur du corps d'un homme ? Les éclats d'obus, combien de voyages encore ? Et les impressions, dans les nerfs, dans la tête, combien d'années tapies ? Arrive-t' il  qu'elles se réveillent, si fort que rien n'est plus possible sinon de retourner pesamment toujours au point où elles sont venues ? Combien d'années traversent-elles les rêves des dormeurs ? Combien d'efforts doivent-ils faire pour les tenir en respect, pour les cantonner dans la maison des rêves et pour fermer à double tour la porte par laquelle elles pourraient s'épancher dans la vie ? Arrive-t-il que cette porte cède et qu'alors la pensée de tous les morts innombrables vienne occuper le monde, le recouvrir tout entier ? »


Il faut accepter de se laisser bercer dans ce cauchemar déroutant, renoncer à un récit organisé pour écouter cette histoire/Histoire chaotique  à travers les témoignages intimes, auxquels   Danielle Auby prête sa parole attentive .De la démarche de l'auteur,  on retient surtout le formidable fouillis, le tressage, les recoupements. Cela   déroute au début, mais au fil des pages, cela a une allure et un charme énorme, ce regard si personnel, cette attention familière à ses personnages, cette multiplication des points de vue, ce mélange des biographies. Tous nommés et renommés pour lutter contre l'oubli dans une obsession de l'entremêlement et de l'interrogation. Comme la forêt qui leur a rendu hommage,  elle construit son livre : quelques allées traçant des directions, et de multiples stèles plantées dans le décor pour un récit qui privilégie le grouillement, le foisonnement, le désordre, cette effroyable misère, qui anéantit les vies uniques et dissemblables de ces jeunes gens « interdits d'avenir » dans un destin commun. Avant l'abandon et l'oubli.

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