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Critique de michfred


La « périphérie » est un lieu d'exil par définition, un lieu de relégation- le « centre » étant , par opposition, celui des rencontres et des retrouvailles, "the place to be », le carrefour des possibles, la piste d'envol de tout futur.

La périphérie demande d'avoir- pour y tenir, y survivre- un point de vue d'où la vie est parfaite.

C'est le plus souvent une échappatoire sur le passé : un banc de square pour deux amies d'enfance, une vieille maison des beaux quartiers rappelant les jours heureux, ou , plus rarement, un appel d'air vers le futur : la grand' roue des plages de la Riviera, désertée par l'hiver mais qui permet d'apercevoir le vaste monde, l'endroit où on pourrait aller, fuir, revivre.

Ou alors le lieu d'où la vie est parfaite serait, en dernier recours, le refuge utérin, le ventre de la mère, où l'enfant à naître est encore merveilleusement protégé des agressions futures : délinquance, abandon, maltraitance, pauvreté, conditionnement social et culturel.

Ou enfin le lieu si particulier d'où s'opère la création – celle d'un roman,- salvateur, effacé, retrouvé ?- celle d'un petit film-docu, pour YouTube, peu importe : un lieu plein de choses fortes parce qu'elles sont nées du regard que l'on a porté sur elles, un lieu pour dépasser les murs de son ghetto, ou de sa prison, un lieu pour passer à travers comme le passe-muraille et se faire la belle.

Etre enfin hors d'atteinte parce qu'on se donne à tous.

Merveilleuse Silvia Avallone, qui, une fois de plus, prend la plume sans complaisance, sans vulgarité, sans populisme- après Acciaio (D'acier), après Marina Bellezza- pour donner la parole aux humbles.

Aux gens de la périphérie.

A ceux qui plus que d'autres ont besoin, pour échapper au désespoir, d'avoir un lieu d'où la vie est parfaite.

Je me baladais dans les Pouilles, il y a 8 jours, et dans la petite librairie d'Ostuni j'ai vu, en vitrine, son dernier roman « Da dove la vita è perfetta » Séduite par le titre - je ne sais encore comment on le traduira- , tentée par l'auteur que j'apprécie, je l'ai acheté, lu, très vite, dévoré en fait, et je me hâte de vous en faire le compte-rendu : parce que, dans ces jours sombres d'incertitude et de propos nauséeux, même sans habiter la périphérie, nous avons besoin d'avoir un lieu d'où la vie est parfaite.

C'est mon brin de muguet du 1er mai !

Revenons au livre ! C'est une sorte de chant choral où des personnages se croisent, se frôlent, parfois sans se connaître, mais sont brassés par le même coup de dés qui jamais n'abolira le hasard… Ils vivent dans le même coin d'Emilie Romagne, tout près de Riccione, sur la côte adriatique, non loin de Rimini, dans le quartier populaire du Villaggio Labriola, un quartier périphérique de HLM , surnommé par ses habitants I Lombrichi, les Vers de terre… Tout un programme !

Après un préambule tétanisant- l'accouchement sous X de la petite Adele, 17 ans, toute jeunette et désemparée, qui met en jeu tous les protagonistes, le récit repart quelque neuf mois en arrière et chaque personnage acquiert profondeur et relief. Puis on revient aux enjeux de la première partie.

Suspense d'autant plus assuré qu'on s'est attaché à tous, et que les choix nous paraissent cornéliens…

On retrouve les mêmes schémas familiaux que dans « Acciaio » : pères maltraitants, irresponsables, toxiques, mères seules et souvent dépassées, enfants sauvés par leurs études mais jusqu'à quand ? ou repris par l'économie maffieuse et criminelle qui leur offre une vie facile mais périlleuse. L'amitié est- toujours comme dans Acciaio- le seul rempart contre la solitude et le désespoir.

Mais le thème majeur du livre est la maternité.

Maternité non désirée -Adele et ,avant elle, sa mère- maternité instinctive presque animale – toutes les « mammas » italiennes du livre sont des lionnes parfois sans griffes mais jamais sans amour- et maternité refusée- le couple de Dora et Fabio, dévoré par le mal d'enfant, est littéralement épuisé par les FIVET- , maternité sans filiation : Fabio et Dora après leurs épreuves sont tentés par l'adoption, malgré l'examen insensé qu'on fait subir aux parents adoptants, quand tant de parents naturels se révèlent indignes.

Le livre est comme une gigantesque « pancia » -un ventre- où, à travers les cas particuliers, se dessine toute une mythologie contemporaine de la maternité.

Même les hommes ne sont pas en reste : Fabio, l'architecte, venu lui aussi des quartiers populaires, est un ancien obèse – une « pancia » à sa façon…- qui rêve, pour les classes ouvrières déshéritées de son ancien quartier, d'accoucher d'une ville nouvelle où il ferait enfin bon vivre.

Et surtout il y a le personnage de Zeno- dont le nom lui a été donné par sa mère costumière en hommage au livre d'Italo Svevo, La Conscience de Zeno.

Zeno la conscience , le point focal d'où la vie est parfaite…

Zeno est une sorte d'OVNI parmi les personnages masculins :enfant sans père, mère pour sa propre mère, alitée et dépressive, père de remplacement pour l'enfant que porte Adele, ami-amant- père pour Adele elle-même, père pour son ami Manu, le bad boy, et surtout père du roman qu'il porte depuis 9 mois, lui aussi, qu'il complète, corrige , efface par dépit, puis retrouve , puisque sans doute c'est celui qu'à la fin du roman nous avons lu….

Zeno qui voudrait être le Frédéric Moreau- ou le Flaubert- d'une Education sentimentale des Lombrichi dont Adele serait la Madame Arnoux…

Un roman d'une rare richesse, d'une humanité vibrante et forte, fichtrement bien construit et qui nous donne des raisons d'espérer sans sombrer dans l'idéalisation béate, les bons sentiments bêlants ni la simplification.

Un roman réaliste, souvent dur, d'où pourtant on entrevoit des coins de ciel, des coins de parc, des banquettes de bus, des nacelles de grand'roue d'où la vie est parfaite.


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