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Critique de Tempsdelecture


2024, l'année à pavés ? En voici un qui fait son poids. À paraître chez Cherche-midi Éditions le 11 janvier, il fait partie de ceux que j'espérais bien lire, parce que Temur Babluani est un auteur géorgien. Et c'est désormais chose faite. Temur Babluani est également scénariste, réalisateur, producteur et acteur. Autant qu'on puisse le savoir, il s'agit d'un premier roman, l'auteur est surtout connu dans son pays comme à l'international pour son film le Soleil des insomniaques (1992). Temur Babluani était en France au mois de novembre présent au festival Un week-end à l'est – le festival des cultures de l'est – consacré à la Géorgie, et je regrette vraiment de n'avoir pu le rencontrer.


Joseph dit Djoudé Andronikachvili est fils de cordonnier, sa mère a depuis longtemps quitté le foyer et pris la tangente, il survit tant bien que mal dans un quartier populaire de Tbilissi, aux côtés de ses amis, dont Haïm. Lui-même vit de petites embrouilles chez ses oncles et fréquente les petits groupes mafieux qui font leur loi dans la capitale de cette république soviétique. Nous sommes en 1968, le pays est sous le joug soviétique, il faudra attendre encore 20 ans avant que le pays ne se libère de ses entraves. Deux décennies pendant lesquelles notre drôle d'anti-héros, Djoudé Andronikachvili va à peu près tout connaître de l'URSS : embarqué, sans le vouloir vraiment, dans les combines de son ami, affilié à des pointures plus grosses que lui, il va finir par s'accuser du meurtre de deux hommes et partir, dans sa posture de nouveau forçat, au nord de la Sibérie, extraire l'or d'une mine. Et ce n'est que le tout début d'une vie d'errance et de galères, d'absences, de mendicité, d'un géorgien broyé par la grande machine soviétique.

Àun avenir pratiquement tracé, tout juste diplômé, aux côtés de celle qu'il aime et qui l'aime, la courageuse Manouchka, il a suffi d'une entourloupe pour que le jeune étudiant qu'il était, d'une fidélité excessivement naïve et presque simplette à l'égard de son ami, se retrouve très vite déporté dans l'un des pires camps de travail de l'URSS. Une naïveté qui confine à la gentillesse et à la bêtise dont il fera preuve tout au long de sa vie et qui lui vaudront des centaines de kilomètres de marche dans la taïga et la steppe sibériennes, des centaines d'heures de camps, des années de vie dans le coma. C'est rocambolesque, Djoudé est un personnage à la fois attachant et agaçant, qui passe son existence à subir les aléas de la vie et les volontés des plus puissants que lui, les truands qui vont finir par devenir des hommes riches parmi les puissants. Un chat noir, plus endurant qu'il n'y parait à première vue qui va apprendre la survie dans des pays où la moindre défaillance peut vous laisser sur le carreau. L'avalanche d'aventures de Djoudé est le témoin d'une Géorgie soviétique des années 60 et d'une Géorgie libre des années 90, et entretemps de l'invraisemblable union soviétique : la notion de justice est totalement aléatoire pour le cas de note Géorgien et n'est pas loin de représenter l'absurdité du système soviétique calqué sur les humeurs d'un Staline imprévisible et paranoïaque. S'il y a bien une chose que l'on apprend ici, que l'on souligne et reconnaît à Djoudé , qui est devenu voleur et assassin, c'est sa constance et son indéfectible lien envers ses vieux amis et celle qu'il aime.

On rajoute à cela le ton gouailleur du narrateur, qu'il garde même dans les situations les plus graves, au fin fond du monde, au fin fond de la grotte d'or, de la Sibérie, les plus désespérées. Comme si rien n'était pour lui ni grave ni sérieux dans le monde qui l'entoure et qu'il ne comprend pas forcément, l'homme s'adapte aux situations qui lui tombent sous le nez, plus qu'il ne les provoque, débrouillard, il prend tout avec un détachement certain, rien ne semble vraiment important. Néanmoins, et c'est cela qui le sauvera, ce sont ses valeurs, fidélité, amitié et amour, qui le porte du début à la fin de son épopée sibérienne et qui contribueront à venir à bout des obstacles, les kilos d'or rescapés de la mine et des vies des bagnards, enterrés comme l'union soviétique, déterrés opportunément après sa chute, ne l'aideront pas. le souvenir et l'image de Manouchka agissent sur lui comme un fil conducteur auquel il s'accroche âprement lors de son exil, le souvenir le ramenant dans sa Géorgie natale.


Cette odyssée, au sens littéral du terme puisque Djoudé est constamment guidé par le souvenir de son amour de Manouchka, compte un nombre improbable de rebondissements, de coups du sort, ou opportunités, à peu près tout ce qui pouvais vous arriver d'invraisemblable et d'inattendu au sein de cette union, dont la dislocation va permettre aux voyous d'autrefois vont prendre des allures d'homme politique respectable sur les plateaux surexposés de la télévision. On ressent que l'auteur avait beaucoup à dire, lui qui a été censuré par le régime lors de la réalisation de ses deux premiers films – le vol des moineaux et Frère – sur l'histoire et la dictature qui a étouffé à mort citoyens comme républiques, lesquels ont encore bien du mal à retrouver une entière indépendance de ce qui représente aujourd'hui le principal successeur de l'Union Sovietique, la Russie voisine.
Lien : https://tempsdelectureblog.w..
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