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Critique de domi_troizarsouilles


Magnifique, inoubliable et bouleversant !
J'avais repéré ce livre dans ma librairie habituelle, à cause de sa couverture (hivernale) sobre que j'avais trouvée très belle, dans des teintes qui me plaisent. de plus, le titre intriguant mais accrocheur m'avait également attirée – il n'a pourtant rien à voir avec l'original suédois, « Björnstad », qui veut dire littéralement « la ville de l'ours », c'est d'ailleurs ce titre-là qui a également été retenu en traduction anglaise par exemple, et c'est tout à fait ça !
Mais voilà : j'essaie de limiter mes achats de livres papier, après tout j'ai une liseuse. C'est ainsi que j'ai assez vite décidé de craquer quand même, mais en format électronique (et tant pis pour la si belle couverture), pour ensuite rapidement oublier ce livre quelque part dans ma Kindle, car il est relativement peu mis en avant par les différents médias même littéraires – et quel dommage ! Je ne remercierai jamais assez cette co-lectrice d'une lecture commune précédente, de m'avoir proposé qu'on le lise ensemble. Je n'ai que peu hésité, sachant que, sans cela, ce livre risquait bien de subir le sort de tant d'autres : se perdre à jamais (?) dans les tréfonds de ma PAL !

Alors, autant le dire tout de suite : si vous n'aimez pas le hockey (sur glace) ou, pour le moins, si vous n'êtes pas intéressé par le sport (de haut niveau) au moins un tout petit peu, alors passez votre chemin, car ça parle de hockey, de hockey, et encore de hockey, jusqu'à l'indigestion et pire encore !
C'est que nous sommes dans la petite ville (imaginaire) d'Ursa, cette fameuse Ville de l'Ours, aux confins de la Suède, au-delà c'est l'impénétrable forêt et le froid éternel. Une seule usine a fait vivre cette petite ville pendant de nombreuses années, mais comme partout ailleurs, les licenciements successifs en ont fait une fabrique à chômeurs, tandis que les écoles fermaient les unes après les autres, n'en laissant qu'une dernière en fonctionnement. Pour tous, il ne reste finalement que deux choses : le bar du coin, tenu par Ramona, une veuve peu commode qu'on apprendra à apprécier, et le hockey, dont le symbole est… l'Ours !
Tout tourne autour de ce sport, qui fait vivre quelques hommes (entraîneurs, manager etc.) en leur offrant un salaire, mais surtout qui fait battre les coeurs de toute une ville, quand l'équipe des juniors parvient à se hisser au niveau d'une demi-finale nationale. Plus que jamais, ce sport qui « n'est qu'un jeu » cristallise toutes les attentes, tous les rêves de toute une communauté pourtant bien disparate, entretenant le fol espoir que toute la ville pourrait renaître d'une victoire – on rouvrirait des écoles, un lycée sportif même, et on relancerait l'usine !
Mais survient le drame… et la question qui déchire tous ces gens qui se connaissent tous depuis l'enfance, qui ont usé leurs culottes sur les mêmes bancs d'école, qui ont eux aussi fait partie du club de hockey avant de devenir adultes, qui sont amis même pour certains, car cette petite ville fonctionne comme un village ; bref, il leur fait maintenant choisir leur côté : être loyal au héros local (car même si l'accent est mis sur l'équipe avant tout, il y a malgré tout l'une ou l'autre star au sein de cette équipe) en dépit de son acte innommable, ou oser affronter ses amis, voisins et collègues pour soutenir la vraie victime (qui, en plus, n'aime pas le hockey) ?

À travers ce thème dramatique central, même s'il survient assez tard dans le livre, l'auteur aborde de façon magistrale toute une série d'autres thèmes du quotidien. Ces derniers ne semblent pourtant pas « forcés », comme on a parfois l'impression d'avoir une surenchère dans certains livres. Ici, l'auteur nous parle tout simplement de la vie, et s'il la concentre sur une toute petite ville autour d'un sport précis, connu pour être un sport d'équipe, d'engagement, mais qui n'exclut pas une certaine violence (et tous ces aspects sont extrêmement bien rendus sans faux-semblants !), ce n'est que pour mieux faire ressortir toutes ces choses qui font la vie de tout le monde, de chaque lecteur, au final.
On a ainsi une multitude de personnages, difficile de parler d'un et un seul personnage principal – ni même deux ou trois, ni non plus l'équipe de hockey, car bien sûr on connaît les 6 joueurs, mais certains d'entre eux sont davantage mis en avant que d'autres ; et par ailleurs, on a tous les personnages « annexes » : les quelques adultes qui entourent ces juniors, mais aussi les familles de tout ce petit monde du hockey. Les deux qui se dégagent sont évidemment Kevin, la star locale et Maya, la fille du manager, entre qui le drame va se jouer. Mais leurs meilleur.e.s ami.e.s, respectivement Benji et Ana, ont aussi un énorme rôle à jouer. Et peut-on parler de toute cette histoire sans évoquer Amat ?

L'auteur n'a pas tout à fait pu éviter les clichés : parmi les thèmes abordés, il y a les différences de statut social, différences qui s'effacent sur la patinoire, mais qui ressurgissent dès que l'on sort de l'aréna, et plus encore quand survient le drame. Or, ici, il a fait fort : entre Kevin la star, issu d'un milieu extrêmement privilégié, mais dénué de toute forme d'affection, avec un père psychorigide et une mère bien lâche ; et le jeune Amat au potentiel trop caché, issu de l'immigration, sans père, et dont la mère lutte pour survivre, tout en enrobant son fils de son indéfectible amour maternel qu'il lui rend bien, on n'est pas bien loin du stéréotype… qui s'exacerbe encore davantage quand chacun choisit son camp. On entendrait presque La Fontaine nous souffler aux oreilles ce qu'il disait déjà il y a 4 siècles : « Selon que vous serez puissant ou misérable… ».
Parmi les autres thèmes, que je ne vais pas vous embêter à lister ici, j'ai beaucoup aimé l'approche de l'homosexualité de l'un de ces nombreux personnages – dire de qui il s'agit, serait divulgâcher si vous n'avez pas lu le livre ! On ne décèle que petit à petit cet aspect du personnage en question, et surtout, on comprend à quel point c'est difficile pour lui, un peu comme le pendant de ce qu'a vécu Maya, dans cette société cristallisée autour de son équipe très masculine de hockey, où il faut être « un homme » (au sens le plus péjoratif possible du terme, alors). Et pourtant, par petites touches et avec au moins autant de pas en arrière, mais parce que l'amour peut surgir de n'importe où quand on s'y attend le moins, peu à peu ce personnage se laisse à aller à être lui-même, et c'est réellement beau, il n'y a pas d'autre mot !

Ce qui est appréciable aussi, indéniablement, c'est que aucun de ces personnages n'est tout à fait blanc ou tout à fait noir (La Fontaine n'aura pas eu raison, finalement, si le lecteur est juge) ! Ils ont tous leurs démons, leurs secrets même pour leurs meilleurs amis, leurs doutes peu ou prou exprimés, leurs moments de révolte parfois à contretemps (ah la mère de Kevin !) – ils sont humains, tout simplement, façonnés par un état d'esprit propre à une toute petite ville relativement isolée, et c'est là qu'on voit ceux qui refusent d'affronter leur propre vérité en se complaisant dans ce qu'ils ont, et ceux qui sont capables d'aller au-delà des préjugés, de ce qui fait mal, tout en restant accrochés à cette ville qui est la leur. Ils sont tous touchants, même ceux qu'on devrait cataloguer comme « mauvais », ils ont tous raison selon leurs propres critères… mais seuls quelques-uns feront les choix qui leur donne une vraie valeur humaine, et qui leur permettra d'avancer, d'être capable de se regarder dans un miroir en somme… (pour cela, mention à Leo, le petit frère de Maya, qui ne joue finalement qu'un tout petit rôle dans toute cette histoire, mais ô combien important !)

Ce livre est donc un véritable coup de coeur ! Et parce que c'en est un, je peux me permettre de relever quelques petits défauts.
Parlons par exemple de l'écriture : elle est très fluide et surtout très directe, mais aussi, elle a quelque chose d'obsédant, et je pense que « ça passe ou ça casse ». On a par exemple la répétition de l'onomatopée « Bam. Bam. Bam-bam-bam. » On comprend très vite (ce n'est guère un spoil) que ça évoque le palet que Kevin envoie au fond de son mini-goal (ou la crosse contre le palet, mais ça revient au même) car, non content d'être la star locale et très doué, ses richissimes parents lui ont installé une mini-patinoire dans le jardin, où il s'entraîne tous les jours dès l'aube. Et ce « Bam » revient encore et encore, de façon obsédante comme je disais. Ou bien regardons le mot « hockey » : ma liseuse m'apprend qu'il y a précisément 295 occurrences – sur un livre de 464 pages (selon les sites de vente), ça fait plus d'une occurrence toutes les deux pages ! C'est très répétitif, on ne peut pas y échapper… et clairement c'est délibéré de la part de l'auteur !
Je ne pourrais dire si j'ai vraiment apprécié ce procédé, c'est quelque peu déconcertant et parfois lassant, mais de façon indéniable, ça participe au « charme » de ce roman.

Par ailleurs, il y a çà et là quelques longueurs, de ces passages que l'auteur semble avoir ajouté pour entretenir une certaine tension, retardant ainsi le moment de dévoiler ce que le lecteur attend ; il joue avec les nerfs du lecteur, la plupart du temps avec succès, mais là aussi tout à coup on se lasse, et vraiment c'est difficile de dire pourquoi, d'un instant à l'autre, on bascule d'un état d'expectative impatiente à ce sentiment de « trop long ».
Mais en même temps, ce livre est une mine à citations, c'est là qu'on entend l'écriture directe, car plus d'une phrase peut toucher tout un chacun selon sa sensibilité du moment, selon son propre vécu : comme ça parle de tant de sujets de la vie, tout le monde peut y trouver son compte. Pour moi, sans surprise pour ceux qui me connaissent, j'ai été particulièrement interpellée par plusieurs allusions à la parentalité, et quelques-unes à la musique.

Bref, c'est un récit touchant, centré sur le hockey qui cristallise tant et tant de passions humaines, dont la plus terrible est sans doute une forme de « dernier espoir » pour une ville au bord de la faillite… jusqu'au drame, obligeant chacun à prendre parti même quand la vérité fait mal à toute la communauté.
Et vivement la traduction française de la suite de ce roman !
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