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Critique de Zebra


Zebra
05 février 2013
J'avais lu « XY, de l'identité masculine » il y a longtemps, avant de m'inscrire sur Babelio. Ayant réalisé que j'avais mis l'ouvrage en statut « Lu », sans en avoir posté une critique, il fallait que je répare cette erreur.

Joli chalenge. D'abord, parce que l'auteure, Élisabeth Badinter, est hyper connue, agrégée de philo et dotée d'une culture générale qui la conduit à pouvoir émettre un avis autorisé sur tous les sujets qu'elle touche : pouvais-je critiquer un de ses ouvrages ? Ensuite, parce que l'ouvrage est le résultat de 6 séminaires tenus à Polytechnique : pouvais-je, sans être issu de cette école prestigieuse, tenter de critiquer un livre très probablement complexe ? Et puis, que dire de neuf et d'original sur l'identité masculine, un sujet où les poncifs abondent, sachant que le buste musclé d'un guerrier de la Grèce antique (en couverture de l'ouvrage en livre de poche) donnait à voir ce qu'est l'identité masculine, alors même que le sujet fait rage en ce moment à l'Assemblée nationale, laquelle est en plein débat sur le mariage gay, avec en toile de fond la question de la place des homosexuels dans la société d'aujourd'hui ? D'emblée ma critique s'avérait délicate, le sujet étant assez conflictuel. Enfin, quand on sait que pour l'auteure « ce nouvel homme que notre siècle est en train d'inventer » correspond à un « prélude à une forme d'harmonie entre les sexes », comment pouvais-je espérer départager ce qui tient du rêve, de l'utopie ou de l'objectif atteignable ?

Me jetant à l'eau, j'ai découvert un livre extrêmement intéressant, hyper documenté, fourmillant d'extraits d'ouvrages français et étrangers, de toutes natures et de toutes époques, un livre non partisan et parsemé d'explications à caractère scientifique (page 63), avançant pas à pas et très logiquement, dans une démarche à l'évidence fort pédagogique, un livre qui dépasse l'analyse biologique et psychanalytique pour examiner sans tabous et sans interdits tous les aspects de l'identité masculine. Élisabeth Badinter nous montre que s'il y a un idéal masculin « classique » (celui de l'homme fort, dur, solitaire, impassible et viril), il y a aussi d'autres idéaux que ceux que nous renvoient les Rambo, Terminator ou Marlboro. L'identité masculine recouvre selon elle une réalité chaotique, plurielle et conflictuelle : Élisabeth Badinter nous propose donc un idéal d' « homme réconcilié », nouveau modèle masculin, à la fois fort et fragile, laissant de la place au quotidien à des réalités aux différences subtiles. Cet idéal se situe à l'évidence à des années lumières de l'homo erectus, lequel se résume à un être humain doté d'un pénis fonctionnel. Élisabeth Badinter nous propose de déconstruire le modèle « classique », modèle qui a montré ses limites (pour être un homme, un vrai, il fallait faire ses preuves, passer par des rites d'initiation, accepter le bizutage, faire du rugby ou tout autre sport violent, et il y avait parfois des ratés) et de libérer l'homme de son angoisse identitaire en le réconciliant avec sa vraie nature qui est celle d'un être androgyne qui souhaite vivre en harmonie avec ses semblables (les autres hommes et les femmes), dans une plénitude marquée par la disparition de l'oppression des mâles envers les femmes.

Le schéma proposé par Élisabeth Badinter séduit par son ambition et par sa spécificité, mais est-il réaliste ? le diable est souvent dans les détails. Exemple : dans un contexte où les familles monoparentales abondent, comment construire cette identité masculine nouvelle chez le père et chez le fils ? Dans un contexte où la pression sociale conduit nombre de pères à être assez peu « présents » au foyer, comment construire cette identité masculine nouvelle, sachant que cette « absence » du père conduit, selon certains auteurs, à produire inévitablement des fils manqués ? Et puis comment construire cette identité masculine nouvelle quand l'enfant mâle a deux parents de même sexe ? Et comment la construire sans aboutir à un déni d'identité, l'homme étant identique à la femme dans une absence criante de dualité, dans un effort délibéré de neutralité ?

Non, je crois qu'il ne s'agit pas seulement de chromosomes et d'idéaux fantasmés : la femme a vu, dans nos sociétés occidentales, son espace de liberté s'accroitre sous la pression de bouleversements idéologiques, économiques et sociaux, et c'est louable, mais faut-il pour autant adhérer au gommage complet des différences, à une banalisation des rôles qui irait bien au-delà de la dépossession par l'homme et par la femme des « pouvoirs » qu'on leur aurait attribués ou qu'ils se seraient respectivement consentis ? Dans un monde où la femme est de plus en plus au travail, où elle exerce des métiers autrefois dévolus à la gente masculine, la femme ne cherche pas seulement à être l'égal de l'homme : elle souhaite une reconnaissance objective, équitable et durable, que ce soit en termes de rémunération ou de considération, et ça ne passe pas forcément par un brouillage des repères ou par la marginalisation de son « rival » masculin. Au final, si l'identité masculine résulte d'un processus lent et complexe, processus qui peut connaitre des ratés, la modification du cours des choses me parait relever de l'utopie. La société peut évidemment et devrait veiller à mettre en oeuvre des atténuateurs de conflits entre hommes et femmes, sans pour autant qu'il y ait obligation de remettre en cause le processus d'individuation et de construction identitaire, que ce soit chez la femme ou chez l'homme. le principal, c'est bien que l'être humain (qui n'est pas un ange puisqu'il est sexué) soit heureux, et ça n'est pas en déshabillant Pierre qu'on habillera Paul ! Un livre intéressant, encore actuel, à lire par les deux sexes ...
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