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Critique de Polomarco


Paris, novembre 1819.
Un jeune étudiant, Eugène de Rastignac, originaire d'Angoulême, « monte » à la capitale pour y entreprendre des études de droit. Il loge à la maison Vauquer, pension bourgeoise, où il partage la vie de dix-huit pensionnaires, qui prennent chaque jour leur dîner dans une salle à manger nauséabonde, « comme des animaux à un râtelier » (page 118). Parmi eux, le Père Goriot, ancien vermicellier dont les affaires ont été profitables, se ruine désormais pour ses filles, Anastasie (Mme de Restaud) et Delphine (épouse du banquier baron de Nucingen), qui le méprisent. Un autre pensionnaire, Vautrin, tentateur cynique et fascinant, explique au jeune provincial la vérité d'un monde gouverné par la loi de l'intérêt.

Dévoré d'ambition, étouffant au sein de la pension, tout à la découverte de la société et des femmes, Rastignac fait son éducation et accomplit un trajet initiatique. « Nouvellement jeté dans le monde » (page 108), il apprend à en lire le grand livre et découvre « le champ de bataille de la civilisation parisienne » (page 111). Un monde différent du sien : Paris est une jungle, où il faut bannir les sentiments et les principes, et où il ne faut pas s'embarrasser de scrupules. Ambition, ou arrivisme ? On peut s'interroger. Son parcours pour entrer dans cette haute société et s'en approprier les codes, débute par une gaffe : « Vous vous êtes fermé la porte de la Comtesse » (page 117) et sera, tout du long, empreint d'opportunisme.

Surtout, le jeune provincial constate l'extraordinaire puissance de l'argent. L'argent, présent tout au long du roman ! On connaît le loyer de chacun des locataires de la maison Vauquer. Les principaux personnages vivent au-dessus de leurs moyens : Eugène emprunte à ses soeurs leurs économies ; Restaud et Nucingen sont compromis dans des opérations financières qui dilapident leur patrimoine et celui de leur femme, c'est-à-dire celui du Père Goriot. Victorine, une jeune pensionnaire, n'accède à la fortune qu'en percevant l'héritage de son frère, mort en duel. Non, l'argent ne fait pas le bonheur : « Voilà la vie de la moitié des femmes de Paris : un luxe extérieur, des soucis cruels dans l'âme » (page 199). Pour Rastignac, Paris est ainsi une sorte de miroir aux alouettes, où prévalent l'apparence et l'hypocrisie.

Pour trouver un peu de bonheur, l'adultère se présente donc comme une solution. Goriot n'hésite pas, en effet, pour obtenir un peu de bonheur par procuration, à jeter Rastignac dans les bras de Delphine, délaissée par son mari et par son amant, dont elle paie les dettes. Fi de la bonne éducation ! D'éducation, il est beaucoup question. L'éducation d'Eugène d'abord, dont « chaque pas était un progrès au coeur du grand monde » (page 219). L'éducation de Delphine et d'Anastasie, surtout, que le Père Goriot, par une forme de bêtise, n'a pas su leur donner : il les a gâtées, c'est-à-dire pourries, au point de les rendre ingrates. « Mes filles, c'était mon vice à moi ; elles étaient mes maîtresses, enfin tout » (page 345). L'ingratitude culmine lors de l'agonie du Père Goriot : « Je leur ai donné ma vie, elles ne me donneront pas une heure aujourd'hui » (page 346).

Roman du voyage parisien et social, le Père Goriot concentre dans un même lieu des êtres en fin de course, des jeunes gens et des marginaux. Et si, finalement, pour reprendre la formule de H.-G. Wells, l'histoire du monde n'était pas une course entre l'éducation et la catastrophe ?
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