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Critique de michfred


L'émotion est une étrange alchimie..

La première de couv' de "Resto qui" -je reste ici- m'a tout de suite plongée- c'est le mot- dans deux souvenirs : une ballade sentimentale  et une balade sépulcrale..

La première,  je l'ecoutais sur mon Teppaz à carreaux, quand j'avais un petit coup de  blues, ou envie de me faire un coeur de midinette:

"Dans le ciel, pas un nuage
Et pourtant j'ai le coeur gros:
Mon village, mon village
Dort au fond de l'eau..
Loin d'ici la vie m'appelle
Je m'en vais mais j'ai le coeur
Qui sommeille, qui sommeille
Tout au fond de l'eau". ..

....chantait Marie Laforêt de sa voix nasillarde et un peu métallique..

Quant à la seconde, la balade avec un seul "l" ,  c'était  à Laussac, en Aveyron, l'année où le barrage de Sarrans a été vidé . Je me suis promenée, le coeur serré,  entre des arbres noircis, des pans de murs moussus,  des fermes sans bêtes et une église sans cloche, au milieu d'un grand silence, comme dans un village fantôme. L'ancien Laussac, le Laussac sacrifié,  immergé,  refaisait provisoirement surface, et ses chemins herbeux remontaient vers le Laussac épargné qui semblait lui faire signe du haut de son promontoire.

Mais l élément décisif de l'alchimie émotionnelle est venu du livre lui- même,  de son sujet, de sa voix narrative,  celle de Trina, et, pour moi, de cette langue italienne, chantante, musicale, qui rend toujours ma lecture plus intime, plus vibrante que la version française, si élaborée soit-elle.

Oui, Resto qui, je l'avoue, m'a profondément touchée. 

Trina parle  à une absente, une disparue, Marica, sa fille.

Elle lui fait la chronique de sa vie de paysanne, de montagnarde.

Elle lui dit son enfance entre un père aimant et une mère dure, puis sa vie de femme, aux côtés de son mari, Erich Hauser,  le taciturne éleveur - et menuisier - qu'elle aime depuis qu'elle est toute petite.

Elle dit la naissance de ses deux enfants, celle de Michaël,  le terrien, rétif aux études, et celle de Marica, son interlocutrice , cette fille "disparue", qui lui ressemblait tant et  aimait étudier, apprendre et enseigner, comme elle.

Trina semble définitivement enracinée  à Curon,   ce village des sommets, si verdoyant à la belle saison,  si blanc et glacé l'hiver, ce village du Haut Adige,  dans le Sud Tyrol  germanophone, que les fascistes italiens essaient d'italianiser à toute force, divisant le pays entre "restanti" et "optanti" qui optent pour l'Autriche ou l'Allemagne ...

Ils  interdisent l'école en allemand - encouragée par le curé du village, Trina et ses amies feront l'école clandestine dans les caves, les granges ou les prés,  au risque d'etre arrêtées ou déportées. Ne donnent les postes  administratifs qu'aux italianophones. Et déjà  menacent les villageois de noyer leur village et leur résistance  sous l'eau d'un barrage hypothétique. ..mais la guerre éclate : les nazis allemands remplacent les Italiens ...à la grande joie de certains qui voient dans cette occupation une délivrance! Le barrage est abandonné mais la chasse aux déserteurs et la férule nazie sévissent. Les temps sont durs, la montagne aussi. 

Quand la paix revient, enfin, revient aussi le projet du barrage...

La chronique de Trina est linéaire comme le temps qui passe,  implacable comme l'hiver, inéluctable comme le destin. Elle ne regarde pas en arrière, elle avance comme cette eau qui finit par noyer les espoirs, briser les luttes, user les forces.

A quoi a servi à  Trina,  l'ancienne institutrice, d'écrire aux "gens qui comptent", à quoi a servi au courageux Erich d'avoir été reçu par Pie XII,  pape failli et dodelinant , qui ne lui a pas dit un mot ni jeté un regard?

A quoi a servi leur longue patience à tous les deux, leur engagement, leur fidélité , leur solidarité,  leur courage ? À garder intacte leur dignité , sans doute, mais qu'elle est douloureuse,  leur dernière promenade , sur la digue du barrage , au bord du nouveau lac, avec leur vieux chien et leurs bêtes effrayées qu'ils mènent à  l'abattoir faute de pouvoir laisser à  l'un, son  travail de berger et aux autres, des terres où  paître.

La photo de la 1ere de couv' est vraiment celle du clocher de Curon, à demi immergé par un barrage qui n'a finalement pas eu le rendement qu'en escomptait la Montecatini mais qui, ironie du sort, est devenu le passage obligé des touristes en quête d'images romantiques et "the place to be" pour tous les abrutis du selfie...

Pour tous les lecteurs de Marco Balzano, ce clocher est l'âme  fière et droite d'un petit village qui ne voulait être ni fasciste, ni nazi, ni italien, ni allemand, juste germanophone et montagnard,  près du ciel, sur les alpages, où il fait si bon se rouler dans l'herbe  et où  les cloches des vaches tintinabulent, le soir,  dans les brumes qui montent de la vallée.

Un beau livre, simple, fort. Et triste.
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