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28 octobre 2014
Se nommer sans renoncer à sa posture singulière et sans pour autant la figer en essence normative

Entre philosophie, travail sur la langue, étude féministe et poésie, ce livre propose des réflexions sur les articulations entre « poétique et théorique », entre « image et concept », sur « une pronomination de soi en rupture avec IL et ELLE ».

Il s'agit pour les auteures de « Faire advenir l'unité de nos fragments, dans le livre encore en attente, en ajointer les pages sans renoncement à notre polyphonie ou, parfois, à notre dysphonie : telle fut l'épreuve de Requiem ».

Michèle Causse ayant « choisi de s'absenter en 2010 », le livre est aussi la poursuite de l'aventure… « la promesse joyeuse d'une exténuation du binarisme, la promesse d'une langue délivrée, la danse en alpha sur les ruines des différences obligées »

De cette lecture, je propose quelques éléments, limités par mes faibles connaissances en philosophie ou des multiples auteur-e-s cité-e-s. Je choisis aussi de ne pas traiter de possibles divergences autour de l'utilisation du mot genre au pluriel, de l'articulation entre changements matériels (inclusives des dimensions idéelles) et langage nouveau, par exemple.

J'ai particulièrement été sensible à cette alliance émancipatrice entre « pensée théorique » et « expression poétique », cette projection d'un non-encore advenu comme aurait pu l'écrire Ernst Bloch. J'utilise ma graphie habituelle de féminisation, tout en partageant les remarques des auteures sur ce sujet.

Sommaire :
L'état des choses
Les exilées
Défier l'androlecte
Re-susciter une langue
« le langage est mon effort humain »
Requiem pour IL et ELLE

D'abord, refuser l'état des choses, l'assignation de « ce qu'il/elle doit devenir », l'injonction d'une certaine réalité, la violente rature, « cette biffure principale et non accidentelle », l'invisibilité organisée des femmes dans les textes, ou dit autrement le mâle « comme référent absolu ». le discours philosophique et les stratégies langagières. « le Même fait Loi : un seul corps, un seul désir, une seule interlocution ». Il y a donc perte de pluralité, « l'altérité étant toujours le nom de l'autre-de-l'Un »

L'Un se définit comme universel. Quant à l'autre : « Seulement vouée à une naturalité qui la cloue à l'essentialité de n'être, mutilée, elle ne sera présente que comme absence dont l'absence ne se fait pas sentir ».

En rappelant Monique Witting, les auteures parlent d'« introduire un « cheval de Troie » dans la cité du Même ».

Il faut donc nommer, trouver les mots qui disent le mur, l'exclusion, les auteures parlent de « androlecte ».

J'ai notamment apprécié les pages sur l'ascétisme et la pornographie, double visage d'une même tradition. La pornographie, entre autres, définissant « l'avoir de l'organe comme être », mise en scène « d'une toute puissance exercée sur l'objet montré en disponibilité de ses orifices ». La pornographie « exténuant tout imaginaire », mécanisation torturée des corps, des corps de femmes, « seul le sperme jaillira »…

Etat des non-lieux pour celles nommées « les exilées de l'universel abstrait », intolérance du réel, vêtement trop étroit et « qui fait mal »… Briser l'hégémonie du « logos androlectal »… « sans pour autant échapper aux apories inscrites dans la brisure ».

Il y a bien prise en compte des contradictions et non lissage des tensions, derrière des « identités » affirmatives du rejet des dominations.

Défier l'androlecte. Cependant le gynolecte, modalité possiblement historiquement nécessaire, « essentialise la différence des sexes ». Je souligne cette dimension, souvent présente dans les études féministes et que d'autres, dominé-e-s en révolte-affirmation semble dédaigner, contournant les différentes facettes des rapports sociaux. Car il s'agit toujours de rapports engendrant et les un-e-s et les autres et leurs hiérarchisations. Comment déconstruire, ici, la différence des sexes sans l'attester ou la reconduire sous une autre forme. Comment, là, déconstruire les processus de racialisation sans recréer les formes mêmes d'une autre altérité.

Les propos des auteures soulignent une fois de plus, à mes yeux, les apports incontournables des féministes.

Quoiqu'il en soit, il s'agit bien de « dénoncer la neutralisation de l'origine énonciative, le faux absentement du sujet supposé savant », les auteures soulignent les apports du féminisme matérialiste. Et encore en référence à Monique Wittig, la nécessité d'introduire les concepts « marrons » de la critique, de dévoiler les présupposés et en produire l'archéologie, de questionner ce qui ne l'est pas, mettre en lumière des causes ininterrogées. Sur ce point, je partage l'avis des auteures sur le passionnant et incontournable travail de Priscille Touraille. ). Il faut en finir avec ces occultations qui régissent les « savoirs ».

J'ai aussi particulièrement apprécié les critiques sur l'essentialisation des différences cachant « l'assujettissement au Même », le maintien des catégories coercitives. « Notre épreuve est depuis toujours mise au défi d'inventer un dire capable de répondre de son lieu d'énonciation et de se mesurer avec ce qui nous fait nécessité d'exister, de penser et d'écrire ».

Je souligne « Il fallait bien traverser les champs de ruines pour croire à des inventions sans repos puisque nous sommes en attente de langue » Il faut donc « Re-susciter une langue », sortir de l'inhospitalité, retrouver l'irréductibilité du désir, « ne pas choisir entre penser et aimer », desserrer l'étau d'un pseudo imaginaire écrasant, accepter les variations musicales du désir, prendre « acte de l'inouï ou de l'intraduisible », bouleverser les signes…

Une stratégie à la fois textuelle et épistémique : « Elles est le corps désirant de sujets irréductibles à leur genre destinal ». Retrouver « les Tchiches et les tchouches », rompre avec ces pronoms personnels mettant en oeuvre le genre et le dissimulant, « ne plus se nommer dans la négation mais aller jusqu'au bout de la défaillance pronominale, s'éloigner des ils et des elles », être enfin en mots de soi…

La représentation du monde est aussi le monde, « un donné-à-voir aveugle aux conditions du voir qui paralyse les imaginaires et interdit les prononciations de soi inassignables, les vouant à l'invisibilité et à l'inouï ». Confiscation de la langue, réduction des désirs « au contrat hétérosexuel », dont les deux termes (contrat et hétérosexualité) sont naturalisés, bridant les possibles des associations émancipatrices.

Les auteures soulignent aussi que « l'occultation est condition de la puissance », parlent de « coup de langue », de langue en fuite, de langue buissonnière… Imaginons une langue de réparation, une langue nommée « alphalecte », un common language « assurant l'équanimité de toutαs les locuteurαs ». Nous sommes bien ici dans l'intranquillité, les articulations rebelles, l'audace, les « savoirs irréférencieux »… « L'alphalecte ne peut tracer ses lignes qu'en oubli de ce qui lui est mémoire, en infidélité consubstantielle, en dérision et en ironie », une langue proposant « un universel stratégique capable de déjouer l'imposture constitutive de l'universel »

Le dernier chapitre porte le titre du livre : « Requiem pour Il et Elle ». Les auteures y proposent un « UL », récusant l'universel-neutre-masculin, « Au lieu de la digestion des singularités, UL dit : ni deux ni maître ».
Le livre se termine par « Muscellanées ». Je n'en reprends qu'une phrase : « UL possibilise l'existence indifférente des distinctions : le contraire de la neutralité »

Un livre très riche, un ouvrage qui mérite de faire l'effort d'entrer dans des domaines qui ne sont peut-être pas familiers à certain-e-s. Un livre aux colorations inhabituelles, le charme de cet entrelacement indicible entre idées et expressions, cela est aussi fort rare…

extraits sur le blog "entre les lignes entre les mots"
Lien : https://entreleslignesentrel..
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